L’ancien ouvreur du XV de France, Frédéric Michalak s’est confié via L’équipe.
Il apprécie de voir que Thomas Ramos ait dépassé son record. Extrait:
C’est bien qu’il dépasse le record. Et surtout, qu’il continue ! Moi, il me régale. Le plus important, c’est que Thomas dépasse les 1 000 points. Son objectif, c’est d’aller chercher cette barre des 1 000 points et se rapprocher des Carter (1 598), Sexton (1 113), O’Gara (1 083), Wilkinson (1 246), Farrell (1 271)…
Vous vous rendez compte que j’étais le recordman français avec 436 points… C’est rien, 436 points. Mais ça montre bien que pendant longtemps, en équipe de France, on changeait beaucoup de buteurs, de charnières… Tu butes pendant deux matches, après, on change.
Il analyse la technique de buteur de Thomas Ramos. Extrait:
On connaît tous ses qualités de relanceur, d’animateur dans le jeu courant. Comme buteur, je trouve qu’il n’a pas tellement fait évoluer sa technique. Il est plutôt posé devant le ballon. Quand on l’analyse un peu, on voit qu’il a une très bonne approche, assez lente dans un premier temps, puis un très bon impact. Il a vraiment une technique de footballeur, assez facile, naturelle. C’est une frappe qui n’est pas saccadée, pas robotisée.
Il explique que Thomas Ramos est très beau à voir. Extrait:
Oui, il est beau à voir. Très beau à voir. Ce qui est assez surprenant, c’est qu’à cinquante mètres, généralement, il pose son ballon, il recule, il regarde et il tape direct. Garder la simplicité du geste, peu importe la distance, l’enjeu, c’est très beau et ça parle à tous ceux qui ont été buteurs.
Qu’il soit face à une pénalité à la sixième journée de Top 14, une pénalité en finale du Championnat ou en Coupe du monde, le buteur doit se concentrer uniquement sur le geste. Ce qui relie les grands buteurs, c’est cette envie de répéter, répéter encore. J’ai travaillé avec Jonny Wilkinson. Lui, c’était deux-trois heures de frappe par jour. Au moins deux heures. C’est très, très long mais c’était son besoin pour avoir confiance, pour avoir la sensation de maîtrise. Aujourd’hui, la nouvelle génération a une approche différente, avec un détachement différent aussi. Ils acceptent aussi plus facilement la contre-performance, ils s’ouvrent sur leur ressenti plus facilement que nous à l’époque.
Explique ensuite pourquoi les buteurs ont tendance à retaper très souvent les frappes qu’ils ont manqué en match, lors des entraînements. Extrait:
C’est un truc typique du buteur. Moi aussi je venais le lendemain d’un match retaper les mêmes frappes, même si en match on ne retape jamais deux fois le même coup de pied. Souvent, la force des grands buteurs, c’est d’analyser techniquement pourquoi ils ont loupé telle ou telle frappe. L’échec, c’est le risque du métier. Tu sais qu’il existe, tu sais qu’il faut faire avec. Le plus dur, c’est quand tu es en grande confiance, comme c’était mon cas à la Coupe du monde 2003, et que le jour J du match, ça ne passe pas. Là, tu le prends en pleine gueule. Mais tu essaies vite de comprendre pourquoi. Et le pourquoi, je le comprends mieux aujourd’hui qu’à l’époque parce que j’ai davantage de bagage technique.
Buter, c’est un geste technique et on peut toujours se raccrocher à la pure technique pour défaire des noeuds. Aujourd’hui, un buteur possède énormément d’informations. Déjà, des données analytiques : est-ce que ses frappes sur tel match passent plutôt milieu-gauche, milieu-droite ? Ou alors, quelles sont les trajectoires de ses frappes depuis telle zone du terrain ? Il a toutes les images qu’il veut puisqu’il est en général filmé sous quatre ou six angles de vue. Ça permet d’observer la rotation des hanches et des épaules. Ça permet de savoir s’il a forcé ou non, si sa tête a bougé parce qu’il n’a pas assez sorti la poitrine. On peut mesurer son rythme cardiaque, utiliser un neurotracker…
Récemment, au Racing, Nolann Le Garrec a fait venir un entraîneur de golf qui utilise un appareil pour déterminer si on utilise plus la partie droite ou gauche du cerveau, la partie gauche étant celle qui permet de mieux se concentrer. On peut toujours trouver de petites choses. Tout ça, c’est super enrichissant mais si le joueur perd sa concentration au moment de taper et commence à être perturbé par ce qui se passe dans le stade, on passe du côté de l’intelligence émotionnelle, et c’est encore autre chose. Vous voyez un geste mais en réalité, c’est cinquante influences.
J’ai beaucoup pleuré après des échecs, dans les vestiaires, dans des toilettes de vestiaires. J’ai vécu ce moment où tu rates et tu ne comprends pas pourquoi. Mais le lendemain, tu repars au travail. Tu essaies de trouver les réponses. En général, un buteur a toujours rêvé de l’être et il y revient toujours. Moi, j’en ai toujours rêvé. Quand tu arrives à 18 ans, que tu fais une finale de Championnat de France et que tu butes, c’est que t’as envie d’être là à ce moment-là.