Vous n’êtes pas le joueur qu’on voit ou qu’on entend le plus dans les médias. Il y a-t-il une raison à cela?
Oui c’est vrai que je n’aime pas trop me mettre en avant. Je suis un peu timide. J’aime bien faire mon truc avec l’équipe et les copains. J’aime bien faire le con dans l’équipe. Mais après, me mettre en avant, ce n’est pas trop mon truc. Je ne cours pas trop après ça parce que ça me met peut-être une pression. Et après je pense trop à ça, au match et tout le reste dans la semaine. Est-ce que j’ai bien fait ça? Est-ce que j’aurais dû dire ça ou pas? Je ne suis pas trop sûr de moi donc je préfère être un peu plus discret, en retrait, et me concentrer à fond sur le week-end.
Bien sûr oui. Je pense que les gens aiment bien nous connaître un peu plus, notre personnalité. Mais oui, c’est vrai que je ne suis pas trop adepte de ça. Et après, il y a ceux qui savent très bien le faire et ils sont vraiment à l’aise avec ça. Et c’est génial. Quand tu vois les jeunes qui s’identifient à des mecs comme Romain (Ntamack), Toto (Antoine Dupont), Cyril (Baille) et Julien (Marchand). C’est des gens qui sont “faciles” pour communiquer. Et du coup, les autres s’identifient à eux.
Vous êtes très proches de Cyril Baille et Julien Marchand. Parlez-vous avec eux de ce côté “communication”?
Non, pas du tout. Moi je reste à ma place, je fais mon truc de mon côté. J’ai aussi mes passions, un peu à part, que pas beaucoup de monde dans l’équipe comprend, comme la moto ou la musique avec un peu de métal. Je fais mon truc et je ne me prends pas la tête. Bon j’ai un compte Instagram mais ce n’est pas trop mon truc de poster des messages, ce n’est pas trop naturel (il rit). C’est plutôt pour regarder les motos…
Sur le terrain, à 31 ans, vous avez dépassé les 200 matchs (218) disputés avec le Stade Toulousain. Tout va très vite?
Ouais, après, les chiffres, je ne les suis pas. Donc oui, peut-être. Ça fait un petit moment. Et ça se fait tout seul. Ça fait des années qu’on joue ensemble et on n’a même pas l’impression que ça fait si longtemps que ça. Parce qu’en fait, on ne s’est jamais quittés. C’est un peu la même équipe, les mêmes joueurs qui se suivent.
“J’ai commencé avec des mecs que je badais”
Si on parle de chiffres, au moment d’affronter Sale ce dimanche, vous allez enchaîner un 20e titularisation d’affilée en Champions Cup. Est-ce une fierté?
Oui, c’est sûr. Quand tu me le dis… mais je ne me rends pas compte. C’est bien, je suis content. C’est cool. Surtout que les coaches me font confiance. Et voilà, ça me met une pression. Parce que les coachs comptent sur moi et moi, j’ai envie aussi de le rendre un peu sur le terrain.
La longévité c’est le plus dur dans ce rugby?
En fait, j’en prends conscience quand je vois les jeunes. Je fais le calcul… parce que je ne te cache pas que je ne me dis jamais “Joël Merkler quel âge tu as?”, ou “Hugo Reilhes quel âge tu as?”… Mais quand tu vois que tu as dix ans ou onze ans de plus qu’eux, tu fais “ah oui quand même” (rires)! Mais bon, franchement, s’ils ne me le disent pas, moi, dans la tronche, ça va. Je rigole, j’ai un peu la connerie, comme un gosse. C’est bien, je pense qu’il faut le garder ça. Car ça va vite. J’ai vécu des trucs énormes ces dernières années. J’ai commencé avec des mecs que je badais: Florian Fritz, Thierry Dusautoir, Imanol Harinordoquy, Cencus Johnston dont j’ai été le remplaçant. Patricio Albacete, Yannick Nyanga. Des noms quand même! Tu te dis, “j’ai joué avec eux”. La classe, quoi.
Vous avez fait vos débuts en 2013, face au Racing 92…
(il coupe) Une mêlée! Au milieu du terrain. Je fais la mêlée, l’arbitre siffle la fin de partie (il rigole)! Mais le tournant pour moi, c’est le barrage face à Oyonnax en 2015. Je devais partir à Carcassonne et on gagne.
“Avant, les veilles de matchs, je ne dormais pas”
Qu’est-ce qui a changé pour vous depuis? Avec l’expérience, on se met moins de pression?
Mais si, t’es obligé! Mais si tu ne mets pas la pression, il faut que tu arrêtes de jouer. Moi, c’est ça que j’aime. Tu vois, tu penses un peu à ton truc, ça te maintient un peu en alerte. Si tu n’as pas de pression, que tu vas dans un match comme ça, ça ne sert à rien de jouer. C’est ça qui est cool. Bon, c’est sûr qu’avant, je ne dormais pas. Les veilles de matchs, je ne dormais pas! C’est pour ça que j’étais “oxy” sur le terrain… Je ne dormais pas, j’étais stressé, un truc de fou! Maintenant, ça a changé un peu. Mais j’ai toujours la pression, oui, toujours la pression. Différemment, mais toujours la pression.
Vous êtes revenu en équipe de France en 2025 après quelques matchs où vous n’aviez pas été sélectionné. Que vous a apporté ce titre dans le Tournoi?
C’était une super expérience. C’est une histoire. C’était génial. Et quand tu es dedans, tu ne te rends pas compte, c’est ça qui est énorme. C’est dur, la pression qui va avec… et une fois que c’est fini, tu te dis: “p…, c’était énorme! J’ai envie d’y revenir!” En fait, c’est ça qui est trop bien. Et quand tu reviens en club, le temps de redescendre… il faut redescendre vite, parce qu’après, tu enchaînes avec le Top 14, donc tu n’as pas le temps de trop papillonner. Donc quand tu rentres, tu te fais la réflexion que c’est incroyable ce qu’on a vécu. Parce que vous avez vu ça sur le terrain, mais quand même, en dehors, on a vécu des trucs… c’était sympa. Dans la vie de tous les jours, c’était cool, il y avait une bonne ambiance, je me sentais bien. On rigole, on se “fait les chambres”, c’est cool (il rigole).
Avez-vous encore en tête ce quart de finale de Coupe du monde contre l’Afrique du Sud en 2023 et rêvez-vous d’une revanche en Australie?
On verra, je ne sais pas. Là, je me suis régalé au Tournoi et je prends du plaisir en club. En début de saison, tu m’aurais posé cette question, je t’aurais dit, “écoute, j’essaye déjà de survivre en club” (rires). Tu vois, tu ne peux pas savoir… Bien sûr que, quand tu y penses, c’est un Graal. Mais là, on revient avec le club et après ça se fera tout seul. Je ne suis pas un mec qui calcule. Je n’aime pas ça. Le traumatisme de la Coupe du monde perdue, bien sûr, tout le monde en a parlé, et moi je suis d’accord avec eux, il y a une cicatrice et elle le restera. Tout ceux qu’ils l’ont joué et tous les mecs qui l’ont perdu, il y en a eu d’autres avant moi et des grands noms. Ils auront la cicatrice parce que t’es un compétiteur et t’as envie de gagner. Mais voilà, comme je t’ai dit, je ne me projette pas à l’avenir. Moi, je joue, tant que je me sens bien, il faut que je bosse, il faut que je continue à bosser et ne surtout pas penser à ce qui se passera demain. J’ai fonctionné comme ça depuis je ne sais pas combien d’années que je joue. J’ai été comme ça tout le temps. Je travaille et puis voilà.
Vous allez sur vos 32 ans. Jusqu’à quel âge vous vous voyez jouer?
Je ne sais pas. Je ne me prends pas la tête. S’il faut l’année prochaine, je serai dans mon garage, je réparerai la bécane et je vendrai des salades au marché de Blagnac (il éclate de rire)!
“J’ai une Harley Shovel de 1976, un vieux truc, une vieille moto. C’est génial. C’est une bécane où il n’y a rien dessus. Un moteur, une boîte de vitesse, phare avant, phare arrière. Démarrage au kick “
Et après il sera temps de faire de la moto, votre autre passion?
C’est ma passion. J’aime bien bricoler et rouler. J’ai une Harley “Shovel” de 1976, un vieux truc, une vieille moto. C’est génial. C’est une bécane où il n’y a rien dessus. Un moteur, une boîte de vitesse, phare avant, phare arrière. Démarrage au “kick”. Et l’an dernier j’ai fait un road-trip en Espagne avec. Ça s’appelle le ZCR. C’est avec une bande de motards. La règle, c’est que tout le monde est avec une vieille moto. Des “Shovel”, des “Panhead”, tu as même des “Knuckle”. Ce sont des motos très rares et en fait très dures à rouler. Et on roule sur des routes en Espagne. En Andalousie, sur des routes entourées d’oliviers. Il fait 48 degrés (rires)! Sur des chopers rigides. C’est génial. Tu ne sais pas où tu dors le soir, parfois au pied de ta moto. C’est génial, énorme. C’est une belle expérience.
On sait la pression qui pèse sur les joueurs, les enjeux. C’est une évasion pour vous? La liberté?
C’est ça. En fait, tu fais le vide. Après, il faut se remettre en route sur le terrain! Mais ça te permet de faire le vide, de vivre une expérience. Et tu coupes en fait. Parce que tu es avec des mecs, ils s’en foutent complet du rugby! Ils sont pareils que toi, ils veulent couper aussi. Faire la fête, rouler. Bon, on parle un peu de rugby, mais très peu. C’est comme une équipe, on déconne, on rigole, On fait des soirées. C’est sympa, c’est bon enfant. On ne se prend pas la tête… Bon après, je ne l’enchaînerai pas tous les ans quand même. C’est très dur. C’est huit jours sous 48 degrés… et pour dormir, parfois on s’arrête dans des campings. S’il y a un mobile-home de libre, tu le prends, mais s’il n’y en a pas, c’est sur le parking, sur une bâche! C’est ça le truc (sourire).
“Tu sors de la finale, tu prends le billet et tu vas au Hellfest”
Votre autre passion, c’est la musique et précisément le métal. Il y a une anecdote vous concernant la saison passée, puisqu’en compagnie du kiné Benoît Castera, vous avez plutôt été au festival Hellfest (un festival de “musiques extrêmes”, hardrock, métal, ndlr) qu’au Capitole fêter le titre…
On a eu ce délire l’année dernière, oui. On s’est dit, on prend les places pour le Hellfest, mais on ne savait pas si on allait parvenir en finale. On a pris les billets d’avion au dernier moment. C’était génial. Pareil, c’est une expérience à vivre. J’aime bien sortir du cadre, vivre des expériences comme ça. Je suis donc allé au Hellfest avec “Ben”. Tu vis des moments monstrueux. On a vu Metallica! C’était génial. Tu sors de la finale, tu prends le billet et tu vas au Hellfest. Tu te mates les concerts de rock, tu rentres, et tu fais la bringue avec l’équipe. C’est pas beau ça (rires)? Bon, c’est vrai que quand je suis parti, j’avais un petit pincement. Je me suis dit, tu y vas, tu n’y vas pas… Mais c’est une expérience. Tu ne pourras pas le vivre tous les ans, fais-le. Et du coup je suis parti. C’est vrai que le Capitole, je l’ai fait parfois et à chaque fois, c’est différent, énorme aussi.
Comment ont réagi vos coéquipiers lorsque vous leur avez dit que vous alliez au Hellfest juste après le titre?
Ils m’ont pris pour un grand fou! Un grand “jobard” (rires). Mais comme je te le dis, je ne me prends pas la tête. C’est comme ça. Après, j’avoue qu’il ne faut pas le faire tout le temps. Il faut se mettre la place des autres aussi. Il ne faut pas que tout le monde le fasse.
Et concernant la musique, c’est aussi une passion?
Oui, mais j’aime tout. J’écoute tout. Je ne suis pas fermé. C’est vrai que j’aime bien le métal, le rock. C’est sympa. Là les mecs ont rigolé sur Airbourne.
C’est le groupe sur lequel vous avez dansé sur le terrain du Stade de France après la victoire dans le Tournoi des 6 Nations…