Une chercheuse en anthropologie, Anne Saouter s’est longuement confiée via Le Parisien pour évoquer le rapport des rugbymen aux femmes.
Celle-ci a baigné dans le milieu du rugby et connait donc très bien le sujet.
Elle explique que le problème de comportement lié aux femmes n’est pas induit par le rugby. Extrait:
Oui, il y a un sérieux problème de comportement, mais il n’est pas induit par le rugby.
Elle évoque la multiplications des faits dans le monde du rugby. Extrait:
Il y a plusieurs phénomènes. Déjà, le rugby, dans ses moments festifs, cette 3e mi-temps quasi-institutionalisée, c’était ce moment où l’on allait apaiser les tensions, en les déplaçant vers la sphère ludique, voire scatologique, sexuelle à un moment donné. C’est ce que je décrivais dans mon livre. Mais, même s’il a dû y avoir des débordements, je n’avais pas eu vent à l’époque d’histoires comme ça, aussi glauques, de viols collectifs…
Selon elle, c’est la professionnalisation du rugby qui a changé les mentalités et les attitudes des rugbymen. Extrait:
Ce qui a énormément changé depuis, c’est la professionnalisation, la financiarisation et la spectacularisation du rugby. Quand j’ai fini ma thèse, on était en train de faire la bascule. J’avais dit qu’avec la professionnalisation, la troisième mi-temps n’aurait plus la même fonction, que ça pouvait devenir violent, que ça allait provoquer des débordements qui, avant, pouvaient se gérer avec le contrôle du groupe.
Cela peut paraître vieille France, paternaliste, mais c’était très fort. Les dirigeants étaient les papas qui surveillaient les petits. Et les joueurs, même adultes, continuaient à baisser le nez devant l’arbitre ou le dirigeant qui l’engueulait. Cette autorité-là, si elle pouvait être critiquable quant à l’autonomie de l’individu, avait au moins cet aspect positif de contrôle du groupe.
Selon elle, la professionnalisation du rugby a défait cette bonne ambiance qui pouvait exister. Extrait:
Quelque chose s’est défait. Avant, l’équipe de rugby, c’était vraiment une micro-société, un corps collectif, avec un échange circulaire, sur le terrain, dans les vestiaires, en troisième mi-temps. Et hors du champ sportif, il y avait toujours cet échange qui liait l’équipe. Parce que chacun travaillait. Chacun s’aidait, moi je vends ça, moi je répare ça… Il y avait un système d’échange de biens et de savoir-faire. Ce contrôle, ce n’était pas que de la surveillance. C’était toujours avoir un œil sur l’autre, pour l’aider aussi dans son travail. Ça, avec le rugby professionnel, ça n’est plus possible.
Elle dévoile de quoi sont désormais faites les 3ème mi-temps. Extrait:
D’autres choses s’y jouent. Ce sont des jeunes, ils ont beaucoup d’argent, il y a de la cocaïne, alors que je n’en entendais pas parler avant. Comme dans d’autres milieux, avec le fric, la fête, l’accès à la drogue, le fait que les entourages changent, qu’ils aient tous des agents… Il n’y a plus cette culture du groupe qui exerçait un contrôle.
Il y a ce rapport à la sexualité, que l’on voit sur les réseaux sociaux. Le gouvernement a enfin fait fermer le site Coco. Ça a duré des années ! C’est scandaleux ce que l’on a laissé passer en France. Les jeunes sont initiés très tôt à une sexualité hyper violente. C’est ignoble. Et ceux qui jouent au rugby, ce n’est pas une jeunesse à part. Je ne dis pas qu’ils sont tous accros aux sites pornos. Mais on a quand même ce problème d’initiation, de rapport au corps féminin extrêmement problématique.
Elle ne comprend absolument pas que l’équipe de France ait décidé de jouer son dernier match de la Tournée d’été contre les Pumas après les dérives qui se sont produits à Mendoza. Et encore moins que Jegou et Auradou puissent de nouveau être alignés en match, en Top 14, alors que l’enquête se poursuit.
Pour elle, c’est totalement insupportable. Extrait:
C’est un problème social, et même politique. Mais quand on voit qu’après cette connerie en Argentine, ils ont quand même joué le match suivant ! Je ne comprends pas. On aurait dû dire : on arrête. Les mecs rentrent (en France), mais l’enquête continue. Et ils sont là, sur le terrain ! (Auradou et Jegou ont repris la compétition avec leur club, avant qu’un éventuel non-lieu ne soit rendu par la justice argentine). Le message est insupportable.
Ça serait dans un autre milieu, ça ne serait pas le cas. C’est le résultat de la marchandisation du rugby. C’est un phénomène de structure, et pas d’individus. J’aurais attendu du rugby un peu plus. Comme la réaction de Bernard Laporte, qui dit : je pense aux mamans. Super… Il faudrait penser à la femme qui a été violentée, ou à sa mère. Là, on est vraiment dans le rugby à l’ancienne. Qui ne s’accommode plus avec le rugby de maintenant.
Elle ne veut cependant pas tomber dans une mauvaise caricature concernant les rugbymen. Extrait:
Dans le phénomène de groupe entre mecs, les rugbymen sont aussi cons que les autres, ça c’est clair. Avec des conséquences plus graves, à cause du style de fêtes qu’ils font, de la drogue qu’ils prennent, du fait qu’ils soient starifiés en permanence, qu’ils se croient tout permis…
Mais il ne faut pas tomber dans la caricature du rugbyman qui par définition serait une brute épaisse. Non, il évolue dans des conditions qui ont changé, et dans un environnement un peu pourri sur le rapport au corps des femmes. On est persuadé d’avoir fait beaucoup de progrès, mais il y a plein de choses qui reculent.