Depuis le début de sa période de domination, marquée par le titre de 2019, jamais le Stade Toulousain n’avait semblé aussi fort. Émulation, concurrence, maturité collective et confiance… Après avoir étrillé l’Ulster et avant d’affronter Exeter sur son terrain ce dimanche soir (18h30) pour le compte de la 2e journée de Champions Cup, l’effectif actuel renvoie l’image d’une force rare, difficile à arrêter. Même si, en interne, on préfère jouer la carte de la prudence.
On aurait presque pu écrire que seul le Covid pouvait arrêter le Stade Toulousain. Car ces six dernières saisons, au commencement du palmarès de cette génération, on peut ranger l’épidémie aux côtés de Montpellier et de La Rochelle (avec la complicité de Castres et du Leinster, tombeurs des Rouge et Noir en demi-finales) dans la catégorie de ceux qui ont empêché Toulouse d’être sacré. Quatre Boucliers de Brennus (2019, 2021, 2023, 2024), deux Champions Cup (2021, 2024) et donc deux doublés, interrompus par un titre non attribué et le sacre du MHR en guise d’année blanche. “On n’aime pas voir une autre équipe soulever le trophée à notre place“, lâchait dernièrement Thomas Ramos pour expliquer l’appétit de piranhas de ce groupe.
Lequel s’est toujours nourri d’une volonté forte de marquer le club, voire tout bonnement son sport. “Nous, on travaille pour être le moins imparfait possible. On travaille pour être au maximum en termes de performances, pour exploiter les qualités de notre formation, les qualités de nos joueurs, les qualités de nos joueurs internationaux et d’essayer de les gérer“, explique le manager Ugo Mola. Qui, comme tout bon technicien qui se respecte, n’arrive pas à se satisfaire de ces succès passés. “Malheureusement, l’autosatisfaction, si ça ne vous embête pas, je la ferai quand j’arrêterai”, poursuit-il. “Si encore j’ai la chance de continuer à avoir des résultats. Parce que dans la balance, je me souviens aussi des moments où j’ai mangé les cailloux. Pour l’instant, je ne pense pas être positif.”
Il a sûrement encore en mémoire ses trois premières années sans titre (dont une traumatisante 12e place en 2017), passées à tourner la page des “années Novès” et à construire cet effectif. Seulement, depuis le premier titre de champion de France, en 2019, qui faisait suite à sept années de disette, il semble que ce groupe monte son niveau chaque année, ce que tend à confirmer, le trois-quart polyvalent Juan Cruz Mallia, arrivé lui en février 2021. “On essaye toujours d’améliorer ce qu’on a fait la saison précédente.” Et quand on vient de réaliser un doublé, on se concentre sur la note artistique ? “On dit souvent que le plus difficile ce n’est pas d’arriver, mais de rester. C’est la force de notre groupe.”
Une concurrence de plus en plus forte
Un groupe toujours plus étoffé d’années en années, qui a impliqué 59 joueurs en Top 14 et en Champions Cup l’an passé. “Je ne sais pas si c’est l’âge, mais les entraînements sont de plus en plus durs, je te le dis. L’émulation, elle y est“, constate en souriant le pilier Dorian Aldegheri, 31 ans et douze saisons au compteur. “Les entraînements, c’est quasiment un match ! Pour l’intensité, pour la pression, chacun veut gagner sa place“, en sourit Mallia. Les jeunes poussent forts, ce que confirme Mola. “Ce qui est clair, c’est que nos jeunes joueurs, qui ont commencé à émerger il y a deux ou trois ans maintenant, ont donc trois ans de plus. Ils commencent à rentrer dans les rotations, à bouleverser un peu les hiérarchies. Et forcément, il y a une forme d’émulation qui génère une qualité de groupe assez élevée. Donc, si je dois parler d’une qualité, c’est peut-être le niveau du groupe constant qui arrive à être assez performant.”
Le 2e ligne Joshua Brennan (23 ans) illustre parfaitement cette “tectonique des plaques” actuelle. Deux matchs, puis treize, puis deux fois vingt-quatre, saison après saison, il est l’archétype du joueur qui a progressé, coché des cases, pour s’installer dans les vingt-trois de la feuille de match et titiller les titulaires (sans oublier une convocation dans les 42 joueurs du Quinze de France lors de la dernière tournée d’automne). À ses côtés, les Merkler, Vergé, Castro-Ferreira, Banos, Théo Ntamack ou Costes rêvent de l’imiter, en attendant, plus tard, les Lacombre, Elias, Daroque, Gourgues ou Remue.
Sans oublier le noyau dur de l’équipe, renforcé par de bonnes pioches comme Willis ou Kinghorn, où peu sont assurés de leur place dans le quinze de départ. Demandez à Ange Capuozzo, international italien mais hors du groupe en phases finales de Champions Cup et sur le banc pour celles du Top 14. A Thomas Ramos, stratosphérique cet automne avec les Bleus et lui remplaçant lors des matchs du sacre européen… “On n’a qu’à regarder les compositions des dernières phases finales qu’on a eues”, explique le capitaine Antoine Dupont. “À chaque fois, il y a des lignes qui bougent. C’est lié aux performances, contre-performances, aux blessures aussi.” Lequel s’inclurait aussi dans cette compétition interne?
“Moi, je fais tout pour maintenir mon niveau et je fais tous les efforts qu’il faut au quotidien pour essayer de rester le meilleur possible. Et bien sûr que ça me pousse. Il y a des joueurs qui sont très performants aussi à ce poste. Paul (Graou) fait des très bons matchs à chaque fois qu’il joue. Naoto (Saito) a été très performant les fois où il a joué cette année avec nous. À toutes les lignes, à tous les postes, je pense qu’il n’y a aucun joueur qui peut se permettre de ne pas travailler ou de ne pas faire les efforts au quotidien et de croire qu’il va jouer, moi y compris.” Permettez-nous, le concernant, d’appeler cela de la remise en question, plus qu’une véritable concurrence.
Maturité et confiance collectives
Et à force de monter ses curseurs, le Stade Toulousain tient non seulement la longueur sur toute la saison, mais semble progresser de manière exponentielle. Sept défaites seulement en trente-cinq matchs sur l’année civile 2024 et des démonstrations de force mémorables : Ulster par deux fois (24-48 en janvier, 61-21 en décembre), Exeter (64-26), Harlequins (38-26), Stade Français (49-18), UBB (59-3), à Vannes (18-43), Clermont (48-14), Toulon (57-5), des victoires marquantes qui viendraient presque à s’effacer de la mémoire collective tant elles deviennent une sorte de norme avec cette équipe.
“On sent bien qu’on arrive à une certaine maîtrise quand on respecte les fondamentaux, quand chacun respecte son rôle, quand on respecte les basiques du rugby, avoue Antoine Dupont. Oui, on sent qu’on est dangereux, qu’on est performant, qu’on est difficile à jouer. Et je pense qu’on a aussi l’expérience maintenant, pour être assez confiant tout en restant vigilant.” Parfois chahutés, comme en demi-finale de Top 14 face à La Rochelle ou soumis à une intensité dingue en finale de Champions Cup contre le Leinster, ce collectif n’a jamais paniqué. Y compris lors d’un match classique au Racing dernièrement, avec un chassé-croisé au score. La pièce tombe souvent du bon côté.
“Attention on n’arrive pas non plus les mains dans le dos“, souligne Aldegheri, geste à l’appui, quand il évoque cette confiance. Mais elle semble bien contagieuse dans cet effectif, ce qui lui permet d’évoluer libéré et de continuer à jouer les rouleaux compresseurs. Moment choisi par Ugo Mola pour faire retentir le coup de sifflet. “Aujourd’hui, champion de décembre, t’es champion de rien. Mon inquiétude, c’est d’être sur ce niveau le plus longtemps possible. On sait que c’est fragile. Le premier à savoir que tout est fragile, il est face à vous. Ce n’est pas une histoire d’humilité, ce n’est pas une histoire d’avoir le melon ou pas, c’est juste d’être conscient de la réalité des choses.”