Pour la première fois depuis l’assassinat de son mari Federico Martin Aramburú le 19 mars 2022, Maria, son épouse, se confie.
Elle a choisi Midi Olympique pour briser le silence après le terrible drame qui a frappé sa famille, il y a 3 ans maintenant.
Elle raconte. Extrait:
Avec les trois enfants et le petit chien que nous venons de prendre, c’est une maison vivante, avec une certaine harmonie entre l’école, les vacances, les voyages en Argentine. Les enfants vivent leur année selon quand nous partons là-bas. Écoutez, ça va… (elle marque une pause) Si on rentre dans le détail, je peux parler de chaque enfant différemment, selon comment ils vivent la douleur. Mon défi, aujourd’hui, c’est que la douleur soit vécue et travaillée, mais qu’elle ne devienne pas une souffrance. Selon l’âge des enfants, c’est difficile, pour moi, de les accompagner, de les aider et de savoir qu’ils souffrent.
Elle indique se rendre en Argentine une fois par an. Extrait:
Une fois par an. C’est ce qu’on faisait, avec Fede, pendant les grandes vacances. Lors du Covid, nous n’avons pas pu partir. Ça a eu une conséquence, au niveau linguistique, pour les enfants. L’an dernier, j’ai dû rester en France pendant les vacances d’été, car je travaillais pendant les Jeux olympiques. Justina (la fille aînée, N.D.L.R.) a pris l’avion toute seule pour voir ses grands-parents.
Se rendre en Argentine, c’est un réel investissement. On a pensé à se rendre dans d’autres endroits, mais c’est un besoin vital, pour nous, de rentrer en Argentine. Mes frères sont en Europe, mes parents aussi, mais même sans ça, j’ai ce besoin de rentrer. C’est une obligation de passer un mois de vacances là-bas pour se ressourcer. Ces trois dernières années, j’ai ressenti que les enfants avaient absolument besoin de passer du temps avec la famille de Fede, les cousins, oncles ou tantes.
Elle précise avoir été beaucoup accompagnée depuis le décès de son mari. Extrait:
À la mort de Fede, ses parents et les miens sont tout de suite arrivés ici. Depuis, j’étais toujours accompagnée à la maison, soit par mes beaux-parents, soit par mes parents. Au début, c’était nécessaire. Presque vital. Pour les enfants aussi. À la fin, j’ai eu besoin de retrouver ma place en tant que parent à la maison pour qu’il y ait une voix unique, d’autant que les filles rentrent en pleine adolescence.
Lorsque mes parents étaient là, j’avais beaucoup de déplacements à faire. Inconsciemment ou consciemment, j’avais besoin de ça : sortir de la maison pour me vider la tête. Sentir que je travaillais m’a beaucoup aidée. À présent, nous sommes dans un moment particulier. Je travaille à la maison, sans horaires fixes à respecter. Je me permets une certaine flexibilité pour que les enfants voient que je suis présente. De toute façon, je ne veux pas être trop occupée, car j’ai besoin d’être là pour eux. Après les JO, j’ai décidé d’arrêter mes activités, j’ai cherché du travail plutôt localement.
Elle explique ensuite comment elle évoque le drame à ses enfants. Extrait:
Santiago était trop petit au moment des faits (2 ans, N.D.L.R.). Il parlait à peine, mais il sentait les choses. À l’époque, il était fou des dinosaures et la seule façon qu’il comprenne était de lui dire qu’un dinosaure avait mangé son papa. Aujourd’hui, il a cinq ans. Il me demande de plus en plus ce qu’il s’est passé. Pour l’instant, je n’ose pas lui raconter la vérité. Je n’aimerais pas que ça développe, en lui, de la peur ou un sentiment de vengeance. Après le passage par l’Argentine, où il a vu le parrain de Fede, je pense qu’il a aussi posé des questions. Il est revenu avec certaines réponses.
Il a dû parler avec sa grand-mère. Chacun lui répond comme il peut. On ne peut pas raconter ce qu’il s’est passé à un enfant, mais aujourd’hui, je lui dis que quelqu’un a fait du mal à son papa. Je n’ose pas lui dire comment. Je n’aime pas les armes. Des fois, il veut s’acheter un pistolet, je refuse. Il doit comprendre… Quand il me demande si quelqu’un lui a fait mal avec une arme, je lui réponds qu’il est encore trop petit pour parler de ça, mais qu’un jour, je lui raconterai…
Elle affirme que son fils a commencé le rugby du côté de Biarritz. Extrait:
Oui, à Biarritz. Il se régale. Quand j’ai décidé de le mettre au rugby, j’en ai parlé avec Thomas Lievremont. De suite, “Lulu” (Laurent, N.D.L.R.) Mazas m’a appelé et ce dernier m’a dit qu’il allait donc revenir au club, pour l’entraîner, avec Hugo, son fils, qui est aussi éducateur. Thomas (Lièvremont), s’il peut, est là tous les samedis matin.
Elle parle également de ses deux grandes filles. Extrait:
Elles vont bien, mais ne parlent pas trop. Il y a deux façons différentes de vivre ça. On parle de Fede et des anecdotes avec la famille, les amis. Après, on n’a jamais parlé de ce qu’il s’est passé. Elles le savent, mais elles ne posent pas de questions. Elles savent qu’on attend un procès. C’est dans un coin. Je leur ai proposé de l’aide, mais pour l’instant, elles ne veulent pas trop parler. Ce sont des filles souriantes, qui vont à l’école, qui travaillent bien. Elles ont de bonnes relations, dorment et mangent bien. Je vois que tout se passe bien. Je suis très attentive à ça. Je pense que la famille, les amis et l’entourage font qu’elles traversent ce moment d’une façon saine.
Elle précise avoir été invitée par Emmanuel Macron pour regarder la finale de la Coupe du monde football en loge, mais elle a refusé. Extrait:
Nous sommes partis la voir au Qatar. J’avais dit à Fede que je rêvais d’aller voir cette Coupe du monde. Messi devait être champion du monde et je ne pensais qu’à ça. Dès le début du Mondial, j’ai demandé à Anibal Fanuele, un de nos amis, de m’accompagner. Il ne pouvait pas, pour des raisons de calendrier, mais on s’est promis qu’on irait au Qatar pour la finale, avec ou sans billets.
Deux jours avant notre départ, j’ai eu l’appel du secrétaire du président Macron, qui voulait nous inviter à partir, avec lui, dans l’avion présidentiel pour voir le match dans les loges. J’étais hyper touchée, mais le président Macron ne s’est jamais exprimé (sur la disparition d’Aramburu, N.D.L.R.). Même s’il ne s’exprime pas publiquement, il aurait pu le faire en privé. J’étais touchée, mais je ne savais pas comment faire. D’un côté, je sentais que je ne pouvais pas refuser l’invitation présidentielle, mais tout a eu lieu de manière très informelle. Je ne me sentais pas trop à l’aise, d’autant que j’avais acheté, par mes moyens, le package pour aller voir le match avec les enfants. Je ne savais pas quoi faire. J’en ai parlé aux filles pour leur dire qu’on irait voir le match dans la loge du président.
Les filles se sont mises à pleurer, car elles ne pourraient pas célébrer sur les buts de l’Argentine. J’avais ma réponse. Je faisais ça pour les enfants. Nous avons décliné l’invitation du président. Je lui ai dit que s’il voulait me recevoir, on pourrait discuter avant la rencontre, au Qatar. Le match, on voulait le voir dans la tribune. On était avec les Français, c’était dur, mais il y avait un respect énorme. Je ne sais pas si ça se serait produit de l’autre côté. C’était magnifique.
Aussi, elle affirme redouter cette date du 19 mars, jour où elle reçoit énormément de messages. Extrait:
Chaque année, c’est différent. Nous sommes rentrés la semaine dernière d’Argentine, où nous avons passé un mois. Hier, j’étais avec mon psychologue. Je n’étais pas bien. Je me suis rappelé que c’était la semaine du 19 mars. Le corps ressent quelque chose. Jusqu’à hier soir, je n’avais pas reçu trop de messages. Là, ça commence. On me demande ce qu’on fait mercredi. “On va aux halles, on boit un verre ?” Tout s’active. C’est pesant, mais c’est normal. Je le prends comme ça. C’est une date à passer.
Nous vivons l’absence de Fede toute l’année, tous les jours. La semaine de son anniversaire et celle de sa disparition sont celles où tout le monde a une pensée. […] Il ne peut pas y avoir la même intensité tous les jours. La vie reprend. Je n’ai pas peur qu’on oublie Fede, car de toute façon, je ne pense pas que ça arrive. Après, c’est vrai que le procès qui n’arrive pas, ça alimente une espèce d’attente.