Mohed Altrad est formel: en juillet 2017, son groupe de BTP ne voulait pas débourser plus de 5,4 millions d’euros pour le maillot du XV de France. Après l’été, il acceptera pourtant d’en payer 6,8 millions pour des raisons que le tribunal correctionnel de Paris a peiné à comprendre, ce lundi, lors du procès visant aussi le président de la FFR Bernard Laporte.
Une affaire sinueuse.
Le patron du MHR Mohed Altrad est formel: en juillet 2017, son groupe de BTP ne voulait pas débourser plus de 5,4 millions d’euros pour le maillot du XV de France. Après l’été, il acceptera pourtant d’en payer 6,8 millions pour des raisons que le tribunal correctionnel de Paris a peiné à comprendre, ce lundi, lors du procès visant aussi le président de la FFR Bernard Laporte.
A plusieurs reprises, la présidente Rose-Marie Hunault bute sur les explications du chef d’entreprise, soupçonné d’avoir versé 180.000 euros au patron de la Fédération française de rugby en mars 2017, en échange d’arbitrages favorables dont ce contrat de sponsoring.
“Vous m’avez perdue, monsieur Altrad…“, résume la magistrate, qui tente de cerner les grandes étapes du partenariat qui a fait depuis 2018 d’Altrad le premier sponsor maillot de l’histoire des Bleus.
“Il y avait un accord”
En mars 2017, le groupe avait noué un premier contrat avec la FFR pour faire figurer son nom sur le maillot de l’équipe nationale pendant 9 matches, en soutien à la candidature française au Mondial 2023 et moyennant 1,8 million d’euros. “C’était une négociation essentiellement entre moi-même et Bernard Laporte”, dit M. Altrad, silhouette fluette et voix légèrement chevrotante.
Mais à l’été 2017, la fédération est en quête d’un partenaire maillot à plus long terme. Un premier tour de table à 9,9 millions d’euros refroidit les partenaires historiques des Bleus. Mais en coulisses, d’après une série de courriels dévoilés à l’audience, M. Altrad et la fédération tombent d’accord fin juillet sur un deal à 5,4 millions d’euros, bien plus avantageux pour le groupe numéro 1 mondial des échafaudages.
“A ce moment-là, il y avait un accord”, confirme M. Altrad à la barre, qui assure qu’il ne voulait alors pas mettre un centime de plus pour le maillot de l’équipe de France. “La France était déclassée. Personne ne voulait de ce maillot”, clame le PDG. Pourtant après l’été, c’est le revirement total. M. Altrad réclame alors lui-même que la fédération lance un appel d’offres auquel son groupe sera le seul à concourir avec une proposition à 6,8 millions.
La version de Laporte mise à mal
Incidemment, il met à mal la version livrée devant le tribunal par Bernard Laporte, selon laquelle c’est lui-même qui avait mis son veto à une offre à 5,4 millions. “C’est moi qui dis non ! Ce n’était pas assez“, avait clamé l’ex-sélectionneur des Bleus la semaine précédente.
Cette subite demande de formalisme intrigue la présidente: est-elle liée à la révélation dans la presse, à la mi-août, du contrat liant M. Laporte à la holding Altrad et du versement des 180.000 euros ? M. Altrad le nie mais avance toutefois une nécessité de “sécuriser” juridiquement le futur partenariat. “Comment se fait-il que vous étiez tombés d’accord en juillet et ce n’est qu’en septembre que ce type de question se pose”, s’étonne Mme Hunault. “Probablement, on a été léger sur le plan pénal“, lâche le chef d’entreprise en se référant au premier partenariat maillot lié au Mondial 2023.
La présidente a une autre interrogation: que s’est-il passé entre juillet et septembre 2017 pour que M. Altrad accepte de rehausser substantiellement son offre ? “C’est la conviction que je me suis alors bâtie sur le programme de M. Laporte” à la tête de la FFR, tente le dirigeant. “Mais ce programme existait déjà en juillet !”, intervient la présidente en rappelant que M. Laporte avait été élu président de la FFR en décembre 2016. Poussé dans les cordes, M. Altrad évoque alors un “engagement patriotique” et son souhait de faire “quelque chose” pour la France, où ce septuagénaire, né d’un viol dans le désert syrien, a émigré. Au risque de se contredire, le milliardaire révèle toutefois qu’il avait “failli ne pas répondre” à l’appel d’offres.
Le tribunal s’interroge enfin sur l’implication personnelle de M. Altrad dans l’ensemble de ces négociations: serait-ce dû aux liens qui l’unissent à M. Laporte ? “Ma relation (avec lui, ndlr) était avant tout professionnelle”, relativise M. Altrad, qui récuse en bloc la thèse de l’accusation selon laquelle il aurait soudoyé le président de la FFR. “Si c’était dans un roman, personne ne l’achèterait”, cingle-t-il. Le réquisitoire est attendu mardi.