Lors d’un long entretien accordé au journal L’équipe, le nouveau manager du CA Brive, Patrice Collazo s’est confié sur son départ du Rugby Club Toulonnais.
Il affirme avoir tout de suite reçu de nombreux messages de soutien suite à son départ du RCT. Extrait:
“J’ai reçu un tas de messages. Ça m’a surpris. Touché aussi. Dans la vie, il faut qu’il arrive un truc compliqué pour qu’on se mette à échanger. Des entraîneurs du Top 14, de Pro D2, de l’étranger. Le premier est venu d’Ugo Mola (l’entraîneur du Stade Toulousain). Je le connaissais sans le connaître. Sur le banc de touche tu peux devenir con, paranoïaque. Tu défends une institution.
Ugo m’a dit : “Je t’invite à Toulouse quand tu veux.” Là-bas, j’ai échangé avec Jean Bouilhou, Clément Poitrenaud, Virgile Lacombe. Ils m’ont donné accès à tout : système de jeu, réunions, terrain, données… Spontanés, avec une bienveillance hyper classe. D’autant que le rugby, c’est devenu secret-défense. Laurent Travers m’a invité au Racing, Pierre Mignoni à Lyon, Pierre-Henry Broncan à Castres. Ça m’a conforté dans l’envie de vivre le job différemment. De façon moins conflictuelle. Et, bizarrement, plein de choses positives me sont arrivées.”
Il a d’ailleurs profité de son temps libre pour entrainer les Corsaires de Saint-Malo en Fédérale 3. Extrait:
“Ça m’a permis de me reconnecter à un certain rugby. Micka Meunier, un pilier que je m’étais régalé à coacher en 2009, m’a recontacté. Il s’occupait des avants de Saint-Malo avec Jordi Rougé, entraîneur en chef. Ils jouaient l’accès en Fédérale 2 et m’ont demandé de venir passer la semaine avec eux. C’était en avril, j’ai roulé jusqu’à Saint-Malo (Ille-et-Vilaine). Un stade à l’ancienne, un petit club house en bois. Les joueurs ont cru à une caméra cachée quand j’ai débarqué. Des mecs vrais, simples, à qui tu as envie de transmettre. L’un assureur, l’autre maçon ou étudiant…
Ils font la démarche de s’entraîner le soir après le boulot. Ils sont l’âme du rugby. J’ai même coaché la réserve. Là c’est particulier (il rit), avec un mec qui n’a jamais joué, un autre qui a vu de la lumière et est entré (il éclate de rire). Les gars ont gagné leur match ! Putain, quelle soirée ! Je suis redevenu junior, ça m’a reboosté à fond. Ces rencontres et celles qui ont suivi, c’est comme un road trip qui m’a conduit à Brive. Un périple initiatique que je n’aurais jamais connu si j’étais resté à Toulon, la tête dans le guidon.”
Il précise également avoir eu l’opportunité d’entraîner en Russie, mais cela n’a pas pu se faire. Extrait:
“Oui, mais quelques semaines après, ça s’est compliqué avec la guerre… Après il y a eu l’été. Pour la première fois, j’étais dispo pendant les vacances. Ma fille en était inquiète (il rit). Je rêvais depuis longtemps de découvrir le Benetton Trévise, qui a accueilli des grands joueurs comme John Kirwan (1986-1990) . Alors j’ai appelé mon pote Marco Bortolami, qui en est devenu le manager. Avec Andrea Masi, Fabio Ongaro et Alexandro Troncon. On a tellement accroché qu’ils m’ont proposé de revenir en octobre.”
Par hasard, il a rencontré Eddie Jones, à Trévise. Il raconte cette folle rencontre. Extrait:
“Un soir, par un hasard du destin, on s’est retrouvés avec Eddie Jones à dîner tous les deux à Trévise. Face à Eddie, j’étais en 3D. On a parlé quatre heures non stop. Il m’a posé mille questions. Moi autant. Il prenait un tas de notes, à noircir un demi-cahier. Il m’a raconté sa carrière de A à Z, avec sincérité. Cette rencontre m’a fait franchir plusieurs steps d’un coup. On a causé technique, prises de décision, évoqué le recul nécessaire. Le lendemain, tandis qu’on regardait jouer Trévise, il me fait : “J’aime ta vision des choses”, puis m’a invité à le rejoindre en Angleterre.
Quelle marque de confiance ! En immersion toute la semaine de préparation du match contre l’Argentine (29-30, le 6 novembre). Avant un match international, la pression est colossale. J’ai été accueilli par Richard Hill puis Anthony Seibold, alors entraîneur de la défense, m’a présenté aux joueurs. Un à un, ils sont venus me saluer. J’étais au coeur de la machine, à échanger avec Richard Cockerill, Matt Proudfoot, leur spécialiste de la mêlée. Eddie m’a dit : “Tu prends des notes. On en parlera.” Il y avait tellement d’infos, je notais comme une dactylo. Une heure là-bas, ça vaut un an d’expérience. J’ai été surpris par l’autonomie des joueurs, le poids des leaders. (Owen) Farrell a une implication dingue. Avec (Billy) Vunipola, Tom Curry, Marcus Smith ou Jack Nowell, ils mènent le tempo, encadrés par le staff. Steve Borthwick, qui a succédé à Eddie à la tête de l’Angleterre (fin décembre), était invité lui aussi. On a échangé plus d’une heure.”
Pour conclure, Patrice Collazo explique sa décision de finalement accepter la proposition du CA Brive. Extrait:
“J’avais eu l’opportunité de reprendre un club, Top 14 et Pro D2. Mais je voulais continuer à me découvrir. Je suis allé filer un coup de main à mon pote Pierre Caillet, dans le dur à Béziers (Pro D2). À Nice aussi, à Alex Compan (N). J’allais voir des matches, en anonyme. J’achetais ma place sur les sites Internet des clubs. Je voulais voir l’invisible, ce qu’on ne peut percevoir du bord du terrain. Du coup, on m’annonçait ici ou là. Des conneries. Brive, c’est surtout une rencontre humaine. Deux jours avant Noël, j’ai déjeuné à Bordeaux avec Xavier Ric, le directeur général du CAB, avec Jean-Luc Joinel et Sébastien Bonnet, directeur du centre de formation avec qui j’avais joué. Leur démarche était cohérente, avec une vision et une stratégie.
Le lendemain, j’ai eu une longue conversation avec Simon Gillham, le président. Puis une visioconférence avec Ian Osborne, le nouvel actionnaire qui m’a exposé sa vision et souhaitait me connaître. Ce fut un bel échange. Mais avant de m’engager, j’avais besoin de parler avec Arnaud Méla, l’entraîneur en chef. Pour savoir si lui et son staff avaient envie de bosser avec moi. Pas question de me filer dans une galère humaine. La confiance, c’est capital pour s’engager dans une telle aventure : sauver le CA Brive, place forte du rugby français. Pour vivre un truc intense qui peut s’avérer bonnard à la fin. Tous les jours, à Brive, je suis surpris de l’engagement des gens et des joueurs. Et ça aussi ça me réconcilie avec le rugby.”