Lors d’un entretien accordé à Midi Olympique, l’ancien troisième ligne emblématique du Rugby Club Toulonnais, Eric Champ s’est confié sur sa carrière de rugbyman.
A lire et à relire ci-dessous :
“Il y a six ou sept matches qui ont changé ma vie et pas que la vie de rugbyman. Le premier match avec Toulon a sûrement changé ma vie. D’autres matches avec l’équipe de France et Toulon. D’être rentré dans le rugby, pour moi ça a été le plus beau chemin que je n’ai jamais pris.
Sur le terrain, je m’interdisais de ne pas être capitaine d’une équipe qui ne fasse pas une chandelle ou une castagne (rire). Quelques fois j’avais des confettis dans la main et j’en lançais (rire). J’ai participé à quelques bagarres. La violence et les coups de pompe, c’était banni depuis toujours. Mais en terme d’attitude et d’être sur le terrain, d’essayer d’être mariole, oui. Mais tomber dans des conneries excessives non. Toulon – Bègles existes. Rigolons-en maintenant mais montrons autre chose désormais.
J’étais petit mais j’ai des souvenirs lointains d’André Herrero avec cette image de Toulon. J’ai des images de Jean-Pierre Rives et surtout j’ai le grand privilège d’avoir joué avec des joueurs qui ont fait que nous avons pu gagner des Tournoi des Six-Nations et faire une finale de Coupe du monde : Philippe Sella et Serge Blanco ! Un match de l’équipe de France sans Blanco et Sella, tu n’es pas sûr de le gagner. Quand il y a Blanco et Sella, tu as 90% de chance de le gagner. C’est en noir et blanc mais les images le disent mieux que moi.
Eric Melville m’a marqué car il était incroyable. C’était le plus fort d’entre nous. Durant sa carrière et par rapport à des blessures, il nous a quitté et je dois être le garant de cela, de son image, de ce qu’il a été. Il a joué avec nous en équipe de France. Il n’a pas marqué que moi. On ne s’en souvient pas assez je trouve et c’est dommage.
Après la mort ? Ce n’est pas l’au-delà. Mais je ne me pose pas ce genre de question. La vie est trop belle pour se demander ce que je serais demain quand je ne serais plus là. J’ai envie de penser à Melville quand je suis en super forme. Ma relation avec Eric Melville est permanente. C’est un vide pour sa famille et ses coéquipiers. Ce n’est pas une réflexion de l’au-delà. Mais lui était très dedans car sa croyance était tellement forte qu’il était pasteur. Mais je préfère que ce soit d’autres qui s’exprime là-dessus.
Je suis très superstitieux. C’est incroyable ! C’est un truc de rugbyman. Comme le caleçon que tu gardes 10 ans car j’ai fait un bon match en 1 914 (rire). Tu étais traumatisés, tu allais au Stade Mayol et tu prenais toujours la même route pour faire le match. Il y avait des travaux ou un accident et on devait contourner, on se demandait ce qui allait nous arriver. C’était pendant 15 ans la même place dans le vestiaire et si un mec s’y installe tu te bats avec lui avant le match. Avant le match, on partait et certains planquaient des petites pierres… Des truc de jobard ! Et je crois toujours en cela !
Le vestiaire d’avant match, c’est presque le meilleur moment du match. Ca fait partie complètement de ce sport. Combien d’intellos nous ont expliqué que dans les années 80, avec Toulon, on avait perdu des matches dans le vestiaire car on se filait des coups de tronche, on insultait les adversaires et qu’on faisait trois matches avant le match. Face à ces gens là, il faut dire oui, vous avez raison. Mais alors qu’est ce que ça nous plaisait ! Un match à Mayol sans un échauffement dans le vestiaire, ça n’existe pas ! Alors maintenant les choses ont changé et je ne dis pas que c’était mieux avant. C’était différent ! J’ai joué 50 matches avec l’équipe de France et un match sans un échauffement avec Jacques Fourroux, ce n’est pas une cap, c’est un truc lambda (rire).
C’est interdit de rigoler avant un match de rugby, du moins à mon époque. On a un rôle, on joue un film et même si tu as envie de rigoler, tu ne rigoles pas. Les minots qui sont arrivés en 92, il y avait une grosse génération d’écart avec nous. On était très fermé et on ne rigolait pas sinon on n’était pas bon durant le match. Et eux, ils arrivaient et ils balançaient des conneries. Ce n’est pas pour cela qu’ils étaient moins bons, ils étaient même meilleurs, mais ça nous plaisait.
Je suis passionné de ce sport car je ne fais qu’un par rapport à la motivation. C’est un sport de combat et on l’a poussé un peu plus avec la notion de guerrier et ça plait beaucoup. Mais je me pose des questions : je me demande aujourd’hui, en étant ensemble de 7h du matin à 16h, ce qu’ils ont à se dire le samedi avant le match. Je ne dis pas que ce n’est pas bien. Je serais ravi de pouvoir vivre de ma passion comme ils le font aujourd’hui. Mais le rugby, pour trouver de la motivation, trouver des forces supplémentaires et différentes, font que quand tu te vois moins… la motivation vient seule. La motivation est aussi dans le travail et quand je suis en bagnole et quand je circule, en fonction des musiques. Parfois avec certaines musiques tu as la motivation ou quand tu essayes de faire du sport. Combien de fois quand je pars courir ou de la musculation, j’essaye d’être motivé mais je me traite d’enc*** car je n’arrive plus comme avant et pourtant je suis motivé.
Sur les cinq ou six matches qui ont fait basculer ma vie, il y a quelques discours qui m’ont marqué. Les entraineurs me connaissaient et peut-être qu’on a connu quelques entraineurs différents en fonction de leur discours. Mais ce n’est pas cela qui nous fait forcément gagner les matches. J’aime bien les regards et les discours. A Toulon on ne parlait pas beaucoup. Mais les regards sont importants. La parole, tu as le temps de voir l’instant, de trouver le bon mot au bon moment. Le regard, c’est l’automatisme par rapport à la situation. Le regard est dans le vestiaire il est accompagné de la parole. Ensuite, sur le terrain, il y a le regard de la difficulté, le regard où on se dit qu’on n’est pas trop bien. Je crois à la stabilité des groupes et des équipes car il y a les automatismes du sport et de la connaissance de ceux avec qui tu joues.
Le regard, ça ne ment pas. On comprend tout de suite. Sur la parole c’est un peu préparé et on peut chercher certaines choses, sans dire que tu mens car si tu mens ça sonne creux dans notre sport. Mais le regard… Parfois j’avais peur et heureusement qu’il y avait les autres et ils avaient les yeux qui brillaient. Ca me faisait du bien.
J’étais suspendu pour la finale de 92 mais c’est l’un des plus beaux moments de ma carrière de sportif. J’avais déjà soulevé le Bouclier et c’était une période qui avait été difficile pour Toulon, en 92. On joue la descente en deuxième division cette année-là, et finalement on est champion de France. Quand tu rentres sur un terrain, en match de barrage, et en disant “putain si tu perds le match tu seras le premier capitaine à amener le RCT en deuxième division”, tu appelles ta femme et tu dis que tu te casses ! C’est lourd à porter. Et quelques mois après tu es suspendu et ces mecs me disent que c’est moi qui vais chercher le Bouclier… C’est un grand moment pour moi… Et ceux qui ont joué étaient bien plus forts que moi.”