L’entraineur des avants Français, William Servat s’est confié via L’équipe à l’approche du match contre les Blacks.
Ce-dernier évoque un moment particulier. Extrait:
On se rend compte depuis un moment que nous approchons d’un moment particulier. Nous savons que nous sommes des privilégiés et nous allons l’être encore plus. Pour le staff, ça n’est pas sans rappeler certains événements que nous avons pu connaître en tant que joueurs. Et aujourd’hui, ce qui est important c’est de donner la possibilité à nos joueurs d’être au maximum de leur potentiel sans ressentir le poids de cet événement. Quand on revient sur les anciennes Coupes du monde, on se rend compte que la pression a pu, parfois, inhiber la performance des joueurs. Aujourd’hui, par des témoignages, de l’accompagnement, par la structure de notre cadre de vie, on essaye d’accompagner nos mecs vers ce rendez-vous.
Il explique ensuite comment le staff du XV de France accompagne les joueurs dans la gestion de leurs émotions. Extrait:
Nous avons un module sur la gestion des émotions. Depuis 4 ans, nous abordons tous les événements sans tabou. On essaye de traiter tous les sujets pour éviter les surprises. On a en expérience proche notre premier match en Écosse (dans le Tournoi des Six Nations 2020). Ce jour-là, il y avait 10 000 supporters français à Murrayfield, certains, nombreux, nous attendaient à la sortie de l’hôtel avant de monter dans le car. On avait perdu (28-17) et on s’était rendu compte que cette pression populaire nous avait pesé. Tout notre travail est de décharger nos joueurs de cela. Ils doivent simplement rentrer sur le terrain avec un vrai sentiment de liberté, sans chape de plomb. Être le plus légers possible.
Pour qu’un joueur se sente en confiance, il faut d’abord lui en accorder. J’espère que nous leur en avons donné suffisamment pour être au rendez-vous ce vendredi. Même si le match le plus important de la Coupe du monde n’est pas celui des Blacks. Il est fantastique parce que c’est un affrontement face à la plus grande nation du monde dans le rugby. Sur ces moments-là, le facteur le plus important est le supplément d’âme dans l’engagement. Ce match sera particulier parce qu’il va nous permettre de construire notre Coupe du monde.
Il dévoile comment se déroulent ces petits modules. Extrait:
Ce sont de petites réunions où l’on parle de tout ce que l’on peut faire sur le terrain pour gérer nos émotions. Ce sont des signaux que l’on ne mesure pas. Par exemple les bulles de maîtrise : comment on a créé ces cercles où, avec trois respirations étalées sur une certaine durée, tout le monde se retrouve sur un rythme cardiaque qui est redescendu. Personne ne doit parler au départ, il y a un responsable qui donne un peu le tempo, et quand tout le monde a respiré, d’un seul coup tout le monde devient réceptif. C’est à ce moment-là que les leaders prennent la parole. Nous travaillons aussi sur le “langage corporel”.
Ugo Mola me racontait comment les All Blacks à 7 rentraient en courant au vestiaire à la fin des matches quand en face ils étaient à l’agonie. Tout le monde était en réalité dans le même état mais eux témoignaient d’une force supérieure et écrasaient mentalement leurs adversaires. À travers ces modules, on discute aussi de la gestion des finisseurs. Comment vivent-ils leur rôle ? Romain Taofifenua en est le parfait exemple. C’est certainement le meilleur impact player du monde. À chaque fois qu’il rentre il fait basculer des matches. Ce rôle est extrêmement valorisé dans notre équipe.
La maîtrise du jeu, la maîtrise des temps non joués, les langages corporels collectifs et individuels. L’alignement émotionnel et tactique. On part de tout ça. Par exemple, sur des temps forts, on s’habitue à gérer la décharge d’émotions positives que cela procure et qui peut conduire à surjouer. À l’inverse sur un temps faible, qui peut nous faire déjouer, on essaye de réagir collectivement. Ce qui est important c’est que le “Je” soit au service du “Nous”. L’individu ne sera jamais au-dessus du collectif. Il est là pour le servir. Et bien entendu, quand on fait grandir les compétences du “Je”, cela valorise le “Nous”.
Cela rejoint pour moi l’altruisme, le sens du sacrifice et du combat, du travail de l’ombre qui rejaillit sur le collectif pour qu’un individu brille. Cet individu brillera parce que nous avons des joueurs dans l’équipe avec des profils particuliers, à l’image de François Cros. Ce n’est pas le joueur le plus en vue mais quand il est sur le terrain, il rend le collectif meilleur. On a l’impression de ne pas le voir mais il est la petite goutte d’huile qui fait que la circulation est meilleure, que le ballon est plus rapide. Le temps gagné sur une petite zone donnera la possibilité à un partenaire de briller. À l’image de Charles Ollivon et Grégory Alldritt, nous avons des athlètes exceptionnels qui combattent pour les copains. C’est pour ça que j’aime ce groupe.
Il indique que le staff a ensuite dédramatisé ce match d’ouverture face aux Blacks. Extrait:
On a expliqué que nous ne jouerions pas notre Coupe du monde sur ce match. On a dédramatisé. Cette génération est assez incroyable. Je ne crois pas avoir eu la même maturité qu’eux à leur âge. Ce qui est important c’est que quand on a choisi les joueurs qui composaient ce groupe, on a choisi des hommes qui pouvaient faire en sorte d’insuffler à ce groupe son supplément d’âme. Aujourd’hui, l’heure est venue. C’est exactement le moment où il faudra que cela se concrétise sur le terrain. Quand les gars sortent sur la pelouse, le fait d’être sur le bord du terrain, à côté d’eux, parfois je me sens presque coupable de ne pas les accompagner au combat.
Ce qui est génial c’est de préparer tout ça en sachant que les mecs ont cette capacité à surpasser l’événement. Je crois que l’on a des joueurs capables de ça. Ce ne sont pas des mecs qui se cherchent des excuses. On peut tous faire des fautes. Ce qui est important, c’est le moment d’après. Quand on perd un ballon en l’air, on peut le regagner en bas. Je pense qu’aujourd’hui ils assument leurs responsabilités là-dessus.
Pour conclure, William Servat explique comment les joueurs ont traversé l’obstacle de cette préparation du Mondial : la blessure de Romain Ntamack. Extrait:
Je connais Romain quasiment depuis qu’il est né. Émile l’amenait dans le vestiaire, il montait avec nous dans le bus à 3 ans. Affectivement, c’est un peu particulier. Au-delà de ça, sur les quatre dernières années, il a été un des joueurs majeurs de l’équipe de France. Sa blessure (ligaments croisés du genou gauche) a été un coup dur pour toute l’équipe. Comme l’a été celle d’Antho Jelonch lors du dernier Tournoi. L’équipe a dû passer outre. François Cros est revenu et on a continué à avancer.
Là où Romain a été incroyable, c’est qu’il n’a jamais fait passer sa blessure avant la Coupe du monde. Et il fait toujours partie de l’équipe. À côté de ça, on a Matthieu Jalibert, Antoine Hastoy qui comptent aussi. La rentrée de Matthieu sur un plan individuel, son implication sur le plan collectif et ce qu’il a réussi à faire sur le match de l’Australie ont dévoilé une performance majuscule. Il a donné la possibilité aux personnes autour de lui d’être encore meilleures. »