Débarrassé de ses soucis au mollet, le pilier du quinze de France, Cyril Baille, va vivre sa 46e sélection face à l’Italie. Formé à Lannemezan, arrivé à Toulouse en 2009 en catégorie Cadet, il a joué son premier match chez les pros en 2012, à l’âge de 19 ans. Tout est allé très vite ensuite, comme son premier maillot bleu en 2016 face aux Samoa.
Pour RMC Sport, il s’est replongé dans ses souvenirs, de ses premiers pas au rugby et les “faux” maillots que lui confectionnait sa sœur, à sa relation fusionnelle avec Marchand et Aldegheri, en passant par l’humilité qu’il cultive et qui le guide. Plongée dans le monde de ‘Cissou’.
Quels sont vos premiers souvenirs de Coupe du monde ?
Je pense à la Coupe du monde 2003 en Australie. J’avais 10 ans et je me rappelle de Frédéric Michalak et Clément Poitrenaud. Enfin toute la bande… Fabien Galthié aussi. Ce sont les matchs dont je me souviens aussi loin que je me souviens donc oui, j’avais regardé la Coupe du monde et c’était la transition que j’avais entre le foot et le rugby, car à l’époque je jouais au foot. Ça m’avait permis de négocier avec ma mère pour que je joue au rugby (sourire) !
Ça a contribué à votre destin ?
Oui, bien sûr. Après, c’était quand même assez ancré dans la famille on va dire, avec mon père. Parce qu’on regardait tous les matchs, que ça soit du Stade Toulousain ou de l’équipe de France. Donc voilà, il y avait déjà cet ancrage-là, de supporter le Stade, de regarder le rugby. Et après, moi j’ai commencé par le foot parce qu’avant, ma mère ne voulait pas que je joue au rugby. Elle trouvait ça un peu trop violent et elle m’avait dit qu’on attendrait un petit peu. Après, quand le casque est arrivé à ma taille, elle m’a dit : “Par contre, tu joues avec !” (sourire). Donc j’ai commencé avec un casque et au bout de deux ans, je l’ai enlevé. Mais ça a permis de contribuer à ça. Et surtout de regarder cette équipe comme on essaie de faire aujourd’hui, de véhiculer une image positive pour les jeunes joueurs. Et moi, ils me donnaient envie de de jouer au rugby. Donc ça m’a permis de confirmer ce que je voulais faire
Vous vous êtes vu à travers certains joueurs ?
J’adorais Fred Michalak. Je l’adorais ! Après mon père était plutôt fan de Christian Califano, donc on regardait aussi pas mal d’images de ‘Cali’, même si après, il a arrêté. Mais oui, bien sûr qu’au début, c’est les trois quarts, comme beaucoup de jeunes ! C’est souvent eux qui brillent, donc c’est normal que qu’ils soient mis en lumière. Mais j’aimais aussi regarder les avants. Ceux qui étaient puissants, qui jouaient bien au ballon. Donc voilà, ça m’a toujours intéressé de regarder aussi tous les postes quoi.
Auriez-vous imaginé, à cet âge, disputer une Coupe du monde ?
Sincèrement je l’ai rêvé, mais le dire, non. Parce que ça te paraît tellement abstrait en fait, il y a tellement de choses avant d’y arriver… puis quand tu commences à tremper dedans, tu ne te rends pas compte tout le tout le travail qu’il y a. Au début, je me rappelle quand je suis arrivé en Cadet à Toulouse, je me demandais ce qu’il se passait. On était 30 aux entraînements ! Alors qu’à Lannemezan, on avait du mal à être 15 ou 16 à chaque entraînement et de faire une équipe pour aller jouer le week-end. Donc voilà, il y a plein de choses nouvelles quand tu arrives dans un grand club comme ça et honnêtement, c’est beaucoup de travail et on ne se rend pas trop compte aussi de de ce qui nous arrive. Souvent ça va tellement vite, il y a beaucoup de routine qui s’installe. En tout cas je l’ai rêvé fort, fort. Mais je ne me disais pas : “Je vais y arriver, j’y serai”. Voilà, ça s’est fait naturellement.
Alors si on avait dit ça au Cyril Baille de l’époque…
Ah j’aurais signé de suite, bien sûr ! Mais j’étais passionné aussi. Donc je pense que ça a peut-être fait la différence sur ce point-là. Parce que je me rappelle que quand j’étais petit, je regardais les matchs et après je rendais folle ma sœur pour qu’elle me dessine les mêmes maillots que le Stade Toulousain. Mon père avait pas mal de t-shirts blancs avec le travail, donc je lui ai ‘défoncé’ tout son stock. Au stylo, on faisait les maillots, les sponsors et je mettais des joueurs que j’adorais dans le dans le dos ! Et je partais dehors refaire le match. Donc voilà, ce sont des moments rigolos. Mais ça montrait déjà que jeune, j’avais là un énorme amour pour ce sport.
On y repense avec un peu de nostalgie ?
Oui, disons que j’y repense. C’est vrai que ma sœur, elle me met souvent ‘des pièces’ là-dessus. Je me rappelle une anecdote, où je lui avais fait croire que, en gros, le Stade Toulousain avait fait une sorte d’appel pour leur nouveau maillot. Et je lui avais dit : “Voilà si tu le dessines, si tu fais un truc bien, on l’envoie et peut être que ça sera toi qui aura le maillot”. Donc elle avait passée 5 ou 6 heures dessus (il rigole), on avait acheté des stylos exprès et elle avait tout dessiné. Alors quand je lui ai dit que ce n’était pas vrai, elle était un peu dégoûtée (rires). Mais bon, voilà, j’étais passionné par ça, je connaissais tous les joueurs et de suite, jeune, j’ai eu cet amour pour ce sport. C’est vrai que j’étais content de jouer au foot, j’étais avec les copains de l’école, mais j’avais envie de passer le cap et de venir rugby.
Vous faites la fierté de vos proches ?
Oui, je pense que je fais la fierté des miens. Surtout, pour moi, le plus important, c’est de ne pas changer par rapport à mes proches. De rester moi-même. Je pense que c’est surtout ça qui les rend le plus fier. Après, c’est sûr que quand ils me voient chanter une Marseillaise ou pousser en mêlée au Stade de France, je pense que ça leur donne énormément de de fierté. Mais voilà, le plus important pour moi, c’est de rester moi-même et d’avoir le même lien qu’on a toujours eu. Parce qu’il y a le joueur de rugby, mais il y a la personne. Et pour moi, le plus important, c’est la personne.
Vous retournez souvent à Lannemezan ?
Oui, mais malheureusement je ne peux pas y aller très souvent. Mais dès que j’ai j’en ai l’occasion, j’y vais et je prends du plaisir à parler avec les gens, avec les éducateurs que j’avais quand j’étais plus jeune. Voilà, c’est toujours cette simplicité-là que j’adore et que je recherche. Et je ne me force pas à le faire. C’est juste que je prends du plaisir à voir les anciens collègues, à repartir à Lannemezan. Ce sont des choses simples de la vie et c’est souvent les plus importantes.
Vous n’avez souvent pas le temps de faire un bilan, mais quand vous voyez le chemin parcouru, quel regard avez-vous sur votre parcours ?
Et bien, honnêtement j’essaie de plus en plus de le faire. Je me rappelle que quand j’ai commencé, les plus anciens, que ça soit ‘Flo’ Fritz, Mama (Yoann Maestri), ‘Titi’ Dusautoir, ils me disaient : “Profite, parce que ça passe vite !”. Et c’est vrai que, quand au début tu y es, tu dis “Bon, ça passe vite ? Moi j’ai encore 15 ans à jouer ! Je suis encore jeune !”. Et maintenant, de plus en plus, j’essaie de profiter aussi au max parce que là je viens d’avoir 30 ans et on ne se rend pas compte. Au final, moi, dans ma tête, j’ai l’impression d’être encore au tout début, en 2012, 2013, là quand je commence ma première saison ! Et elles sont passées comme ça, d’un trait. Ça passe tellement vite. Donc je pense que c’est bien de temps en temps de se poser. Je le fais, je regarde. Depuis l’arrivée de la petite aussi (il est papa d’une petite fille, ndlr), j’essaie de profiter de ces moments-là. Parce qu’on est quand même des privilégiés. On a la chance de faire le sport qu’on aime et de faire ça tous les jours.
C’est votre deuxième Coupe du monde ? Quelle différence faites-vous entre les deux éditions concernant l’équipe de France ?
On a beaucoup plus de stabilité depuis quatre ans, on a quand même gardé quasiment les mêmes joueurs, avec une génération aussi qui se rapproche en âge, donc ça c’est important. On se connaît depuis très longtemps pour la plupart et y a surtout cette cohésion qui fait je pense la différence dans les matchs difficiles. Et que ce soit avec les trois-quarts ou les avants, il n’y a pas de différence, tout le monde veut aider l’autre. Et c’est surtout sur la vie en dehors où on arrive à être vraiment tous en osmose. On se met tout le temps des ‘pièces’, voilà, ça rigole bien mais par contre, quand il faut bosser, on bosse. Voilà, on a vraiment de l’amitié entre nous. Je pense que ça fait la différence sur le terrain.
On entend souvent que vous êtes quasiment dans une ambiance de club…
Honnêtement, moi je le dis depuis le premier Tournoi des VI Nations (2020, ndlr), c’est ce que le staff est arrivé à faire. C’est incroyable parce que je pense qu’ils ont su aussi mettre les caractères qui vont bien ensemble. Et oui, pour moi, quand je viens ici, c’est comme un deuxième club. Bien sûr, c’est la sélection, c’est l’équipe de France, mais par contre on a une ambiance de club. Et ça, c’est très difficile à trouver et très difficile aussi à garder. Mais je pense que ça se fait naturellement, parce qu’on s’aime entre nous.
Au sein de cette équipe, vous évoluez avec Julien Marchand et Dorian Aldegheri, que vous connaissez depuis votre plus jeune âge, avec qui vous avez joué dans les catégories de jeunes au Stade Toulousain. C’est particulier ?
Ça, c’est à part parce que je trouve. Comme je disais avant, avec le côté humain et le rugby, là je pense que ça dépasse le rugby. Moi, je n’ai pas de frère. J’ai ma sœur, Julia, mais depuis qu’on se connaît, on a tout traversé ensemble. Que ça soit les débuts de match en première, on s’est toujours entraidé. Dans les blessures, dans tout et on a même été papas aussi ensemble à quelques mois d’intervalle. Donc je pense qu’il y a des choses de la vie qui ne trompent pas. Et oui, d’être ici en équipe de France, c’est quelque chose de… (il cherche ses mots) d’extraordinaire. Parce qu’avec eux, quoi que ce soit, ‘Ju ‘ ou ‘doudou’… (il souffle, pris par l’émotion) c’est compliqué de te dire parce que tu vois, quand j’en parle ou que je que j’y pense, j’ai beaucoup d’émotions qui me vient. Mais voilà, je pense que c’est une chance et je suis content de les avoir parmi mes amis proches et je pense que si aujourd’hui j’arrive à faire ce que je fais, c’est en partie grâce à eux
Quelle est la différence entre le Cyril Baille de 2019 et celui de 2023 ?
Oui, il y a une différence et elle est surtout sur l’expérience, la façon d’aborder les choses, les matchs. Il y a des choses que j’ai compris aussi sur le tard : de ne pas se mettre de pression négative, d’essayer de tout le temps positiver. Et de comprendre qu’au final, tu apprends toujours. Ce n’est pas parce que tu vieillis que tu n’apprends plus, au contraire. Tu apprends encore plus qu’avant et j’essaie d’être tout le temps dans le positif. Bon je râle un peu encore de temps en temps quand il faut (sourire) derrière les ‘prépas’ notamment, parce que sinon ça ne serait pas moi. C’est ma nature de râler un petit peu mais, par contre, j’essaie de de rester positif et d’avoir beaucoup de bienveillance envers les plus jeunes, dans mon rôle de pilier. Tu as de la maturité, tu comprends aussi, tu apprends aussi à connaître ton corps. Sur ton placement, sur les mêlées, à force d’en pousser, même si tu te fais souvent surprendre aussi. Donc voilà, il faut rester les pieds sur terre comme je dis, tout le temps rester humble, continuer de travailler. Mais ce qui est bien dans notre sport, par rapport aux valeurs que l’on a, c’est qu’on ne se prend pas pour d’autres. Et qu’on continue toujours d’apprendre. Donc c’est hyper enrichissant.
De par votre statut, vos résultats depuis quatre ans, vous sentez-vous obligés de viser le titre ?
Disons que les quatre années qu’on a fait, elles nous ont emmenés vers ici. C’était quand même l’objectif premier de Fabien, d’essayer de construire une équipe qui s’entende bien sur le terrain et en dehors. Je pense qu’on en entend parler depuis un petit moment de la Coupe du monde en France. Donc pour nous, ça reste un objectif ultime. Après, pour avoir gagné des titres, là c’est quelque chose encore au-dessus je pense. Mais ça dépend de beaucoup de choses. Je pense qu’on est prêt physiquement et après, il ne faut pas changer nos habitudes. Ne pas changer nos avant-match, les façons dont on aborde ces matchs, comment on les prépare. Depuis quatre ans on fait comme ça, il faut ne pas changer les choses parce que c’est une Coupe du monde. D’autant plus qu’elle est en France et que t’as envie de la gagner. C’est sûr que notre objectif ultime, c’est de la gagner. On sait qu’avant d’y arriver, on aura beaucoup de travail.