Si Jean-Pascal Barraque, arrière international de l’USAP, qui compte une sélection à XV mais 182 à 7, n’a pas le moindre doute sur l’adaptation du meilleur joueur du monde de rugby (à XV) au système à 7, il insiste sur les nombreuses différences entre ces deux sports. Temps de jeu, postes, enchaînement des tâches… Antoine Dupont va devoir composer pour être fin prêt pour les Jeux.
Quelle est la différence la plus évidente, entre le rugby à XV et le rugby à 7 ?
La différence la plus évidente bien sûr, c’est le nombre de personnes sur le terrain, on passe de trente à quatorze personnes. Après, il y a le temps, on passe de deux fois sept minutes et à quinze, c’est deux fois quarante. Ensuite, il y a les espaces sur le terrain, l’enchaînement de tâches. A XV, c’est parfois un peu plus les avants qui travaillent que les trois-quarts et inversement. A 7, par contre, tout le monde est obligé de rester vigilant et d’être actif. La principale différence est l’enchaînement de tâches à haute intensité.
Quel est le temps d’adaptation nécessaire pour passer du jeu à XV au jeu à 7 ?
Quand j’y suis retourné l’année passée lors du tournoi de Los Angeles, j’ai mis quatre matchs pour me sentir vraiment bien. Je me suis bien senti sur les trois premiers matchs, je n’ai pas fait d’erreurs mais je ne me sentais pas aussi explosif et apte à enchaîner les tâches comme d’habitude. A partir du quatrième, j’ai commencé à bien me sentir. Normalement, le premier match est dur à passer puis on se sent bien sur le deuxième. Je dirais que le temps d’adaptation est de minimum trois semaines, le temps de connaître ses partenaires et de participer à des entraînements.
Vous dites que vous avez mis trois matchs à vous habituez alors que vous êtes accoutumé au rugby à 7, pour quelqu’un qui n’a pas l’habitude comme Antoine Dupont, cela peut être plus long ?
Ce sera à peu près pareil mais sur le schéma de jeu, ça peut être un peu différent. Au moment du tournoi à Los Angeles, j’étais à Clermont et je n’avais pas beaucoup de temps de jeu, les entraînements ne remplacent pas les matchs donc à ce moment-là, j’ai mis plus de temps à m’adapter. C’est important pour ces personnes qui vont arriver dans un nouveau groupe, d’engranger de la confiance pour être susceptible de pouvoir postuler pour les Jeux. Je me rappelle Gabin Villière qui au début disait : ‘J’ai du mal à retrouver la confiance que j’avais à 7’. Mentalement c’est dur parce qu’en face, même si on ne connaît pas vraiment les joueurs comme le rugby à 7 est moins médiatisé, on peut vite se faire mystifier par une personne lambda. La charge mentale est importante.
C’est indispensable qu’Antoine Dupont participe aux tournois de rugby à 7 de Vancouver (23-25 février) et de Los Angeles (2-3 mars) avant les Jeux ?
Oui c’est important. Pour le staff, il faut voir ce qu’il vaut à 7. Pour lui, qu’il ait des certitudes ou non et pour l’équipe aussi, pour savoir comment il joue car chaque personne à sa particularité. C’est important pour toute personne qui viendra de l’extérieur de joueur au minimum un ou deux tournois pour pouvoir s’intégrer dans l’effectif. Les entraînements c’est différent, vous pouvez être bon à l’entraînement et en match complètement vous trouer et inversement… C’est important pour s’apporter des certitudes et se sentir confiant dans le groupe.
“Ce qui est difficile, c’est qu’en 14 minutes, on fait parfois autant de tâches qu’en 80 minutes”
Le temps de jeu est aussi bien différent, deux fois quarante minutes pour le rugby à XV, deux fois sept minutes pour le rugby à 7, il faut être plus décisif, plus vite ?
Sur le temps de jeu, ça ne change pas trop, ça reste un jeu stratégique. On arrive à recoller au score même si on prend un essai etc… Ce qui change, c’est vraiment l’enchaînement de tâches répétées à haute intensité surtout qu’on a moins le temps de se reposer. Il n’y a pas à se sentir pressé de vite marquer car on sait qu’on aura l’occasion de marquer car les mêlées ne durent pas aussi longtemps, les touches non plus. Ce qui est difficile, c’est qu’en 14 minutes, on fait parfois autant de tâches qu’en 80 minutes.
Le rugby à 7 est aussi plus physique ?
Comme on enchaîne les tâches à haute intensité, au début, on a vite les cannes engorgées et sur le cardio, il faut tenir. Pour moi souvent, c’est sûr pour les cannes et l’enchaînement d’effort. Il faut avoir une certaine préparation au préalable puis les matchs nous mettent dedans et petit à petit le corps s’habitue. Le corps est bien fait quand on fait une bonne préparation à 7, on perd toujours deux ou trois kilos en ne faisant rien, juste à cause de l’enchaînement des entraînements. Le corps s’adapte à ce nouveau sport.
Antoine Dupont n’aura pas de soucis sur cette adaptation physique ?
Oui, les premiers tournois vont le mettre en jambe, la préparation va l’amener à être encore plus en forme d’autant plus qu’il a fait une grosse prépa pour la Coupe du monde, ce sera dans la continuité. Je pense pas que l’on puisse transformer un pilier de XV en un bon joueur à 7 physiquement et au niveau du cardio, mais un trois quart comme Antoine Dupont, s’il travaille bien, il peut être amené à enchaîner les tâches.
Sur le terrain, quelles sont les différences en termes d’actions ou de système de jeu par exemple ?
La meilleur exemple est la défense, c’est là où l’on s’épuise le plus. A XV, tu plaques une personne, tu te relèves et souvent tu n’enchaînes pas de tâches derrière. Un trois-quart se replace sur l’extérieur et a toujours un ou deux temps de jeu avant de refaire quelque chose. A 7, tu plaques, tu te relèves, tu dois vite te remettre en position et tu sais que si tu n’es pas à l’intérieur de ton partenaire à côté, derrière tu vas prendre un essai. C’est ça l’enchaînement de tâches, plaquer, se relever et faire l’effort de se remettre en position. Ce sont des efforts intenses que l’on retrouve un peu moins dans le rugby à XV.
Les postes changent également. Sur un système à 7, où évoluera un demi de mêlée comme Antoine Dupont ?
Il jouera peut-être 4 ou 5 en rugby à 7. Il devra faire beaucoup la couverture derrière savoir retrouver ce placement qui n’est pas le même qu’en XV, surtout qu’à Toulouse le 9 (demi de mêlée) est souvent dans la ligne. Il va devoir trouver sa position derrière, être présent au moment où on se fait breaker et pouvoir plaquer. A 7, le moindre espace tout le monde va à 10 000 même si Antoine Dupont est très rapide. Le rugby à 7, c’est la Formule 1 du rugby à XV physiquement. Carlin Isles, un ailier américain, avait eu une pointe à Capetown à 41km/h et ça à XV, on ne l’a jamais vu. Quand il est fatigué, il monte quand-même à 36 ou 37 km/h. Alors si tu te retrouves derrière lui, tu restes derrière et tu le vois aplatir derrière la ligne d’essai.
Il faut qu’il arrive à trouver sa position mais le rugby à 7, c’est très famille donc à chaque fois que quelqu’un de nouveau nous intègre, on fait en sorte qu’il s’intègre vite, on lui explique le schéma de jeu après il faut qu’il soit libre sur le terrain et qu’il fasse ses propres erreurs à l’entraînement pour apprendre de lui-même. Mais normalement, le transfert se fait assez bien.
Sur les postes, vous êtes demi d’ouverture. A 7, vous êtes à la fois demi d’ouverture et demi de mêlée ?
Sur un match à 15, ça m’arrive très rarement de faire une passe de 9 (demi de mêlée). A 7, si tu fais une passe de maçon, ça va être compliqué derrière. Tu te retrouves dans plein de postes auxquels tu ne te serais pas retrouvé à 15. Il faut être plus polyvalent et plus précis. Pour Dupont, sur une phase de jeu, il sera peut-être amené à lancer le ballon en touche et je ne pense pas qu’il ait déjà eu l’occasion de le faire à 15 même si je ne me fais pas trop de soucis pour lui.
Vous pensez qu’Antoine Dupont peut assez bien s’intégrer au jeu à 7 ?
Je pense car il est costaud, il a des qualités individuelles d’appui et de vitesse qui sont propres au jeu à 7 aussi. Il a une bonne vision de jeu et techniquement, il n’y a pas grand-chose à lui apprendre donc il peut vite s’adapter. Je ne dis pas qu’il sera le meilleur joueur du monde de rugby à 7 mais il peut être un bon joueur de rugby à 7.
Vous qui avez fait plusieurs aller-retours entre le rugby à 7 et le rugby à XV, quelle a été votre difficulté majeure au début ?
Au début, j’utilisais beaucoup mon pied à 7 mais le coach m’a dit ‘Maintenant tu arrêtes sinon ça doit aller à dame (aboutir à un essai) à chaque fois’. Donc c’est vrai que dès que tu n’as pas la balle à 7, ça pique en défense. La possession est très importante. Il faut être très bien positionné dans les rucks, libérer le ballon proprement. S’il y a un relâchement de ce côté, on perd la balle assez vite. Ensuite, quand tu passes du XV au 7, au début tu as l’impression de ne plus être prêt physiquement et inversement quand tu repasses à XV, tu as l’impression de ne jamais être fatigué. Le XV et le 7 ne doivent pas être concurrents, ce sont deux sports complémentaires et je pense qu’en France, on a un peu du mal à l’intégrer.
“J’ai déjà eu l’occasion de faire un tournoi à 7 contre Antoine Dupont petit et il était déjà bon”
Ce sont deux sports différents ?
Oui, le rugby à 7 est un sport différent, il n’y a pas de piliers. Techniquement, il faut être irréprochable. A XV, on fait souvent des passes de 5 ou 10 mètres alors que là, on peut être amené souvent à faire des passes de 15 à 20 mètres. Les phases de ruck sont très importantes aussi. C’est très précis. On paye moins cash les erreurs dans le rugby à XV.
Et vous, votre cœur penche plutôt pour le rugby à 7 ou le rugby à 15 ?
J’aime beaucoup le 15. A 7, ce qui est frustrant, c’est le fait de ne pas jouer tous les week-ends. Mais une fois le tournoi commencé, le 7 c’est incroyable. En 7, il faut être prêt à enchaîner les matchs. Entre un match à 15 et un tournoi à 7, je choisis mille fois le 7.
Antoine Dupont risque d’y prendre goût ?
Je lui souhaite ! Je pense ! J’ai déjà eu l’occasion de faire un tournoi à 7 contre lui petit et il était déjà bon. C’était un tournoi non-officiel à Lannemezan, j’avais 15/16 ans. Je jouais à Tarbes et on était tombé contre Lannemazan et Antoine était dans cette équipe. Je pense que cet événement va lui plaire, les Jeux olympiques, en France. A l’hôtel, toutes les nations sont mélangées. J’aime le mélange de cultures du rugby à 7, il y a une très bonne ambiance entre nations.
Via RMC Sport