Yannick Larguet a été agressé par Bastien Chalureau le 31 janvier 2020, dans la nuit, dans une rue de Toulouse.
En état d’ébriété, Bastien Chalureau a violemment frappé Yannick Larguet suite à une altercation.
Si Bastien Chalureau confirme les actes de violence, en revanche, il dément formellement avoir traité sa victime de “sale bougnoule”.
Huit mois de prison avec sursis ont été requis lors de l’appel. La décision a été mise en délibéré au 16 janvier.
Pour la première fois depuis le début de cette affaire, la victime Yannick Larguet a accepté de s’exprimer via le journal L’équipe.
Les propos sont forts. Il revient sur cette terrible soirée qu’il a vécue, et cette agression.
Il explique tout d’abord pourquoi il accepte de prendre la parole. Extrait:
Depuis le début, on a beaucoup entendu Bastien Chalureau, il a pu s’exprimer à plusieurs reprises. Les faits qui se sont produits sont suffisamment graves pour suivre l’histoire jusqu’au bout. J’étais assez curieux de voir comment il allait se défendre cette fois-ci, car ses versions ont changé.
Je me suis tu durant la Coupe du monde, même si j’ai été extrêmement sollicité. Le Mondial en France est une chance inouïe, supporter et préserver l’équipe de France était ma priorité. Je m’efforçais aussi de protéger ma famille. Mais là, ce n’est plus possible. Quand je lis dans vos colonnes dernièrement qu’il affirme que les victimes mentent et quand j’entends que cette histoire, ce n’est rien d’autre qu’une bagarre, qu’une altercation…
Entre les lignes, ça veut dire que c’était une bagarre de nuit, entre des rugbymen ivres. Ce n’est pas la vérité. Quand on se fait frapper par-derrière en rentrant dans un parking, en se faisant traiter de bougnoules, ce n’est pas une bagarre. C’est de la couardise la plus extrême. Dans une bagarre, il y a deux personnes face à face qui veulent en découdre. La sémantique est importante. Là, c’est une agression motivée.
Si on fait un flashback, sa première version, c’est : “Larguet me court après dans la rue pour m’agresser, je me défends, il est moins fort que moi, je lui casse la gueule, c’est comme ça.” Puis arrive la confrontation, avec l’utilisation des images des caméras de surveillance. On le voit qui m’assène un violent crochet du droit par-derrière. Il est mis devant la réalité, il change de version et reconnaît les violences, sur moi et Nassim Arif. Mais sur ces caméras, il n’y a pas de son. Donc, il a la possibilité de défendre l’absence de motifs racistes.
Il affirme se sentir mitigé suite à l’audience de l’appel. Il est déçu des propos tenus par Bastien Chalureau. Extrait:
Mitigé. Je suis déçu par sa version, sa manière de présenter les choses, des mots qu’il a employés, sa façon de banaliser certains points. Mais j’ai été soulagé par les propos de l’avocat général, son angle d’attaque. Il a bien compris l’affaire, a rappelé les vérités importantes de l’histoire. Si j’avais eu un droit de parole ce jour-là, je pense que j’aurais utilisé le même vocabulaire.
Selon Yannick Larguet, c’est clairement une agression à caractère raciste. Extrait:
Exactement. Mais quel intérêt pour moi de tout inventer ? Quel intérêt ? Mon fils jouait au Stade Toulousain à l’époque des faits, le club l’a pris en charge, il ne voulait plus aller à l’entraînement, il était traumatisé et avait peur de croiser cette personne sur les terrains. “Papa, est-ce qu’il va me frapper ?” Le responsable de la formation, Yoann Faure, a été fabuleux, il a créé une cellule autour de l’enfant pour le remettre en confiance. Mais il aurait pu arrêter le rugby. Sans parler du soutien professionnel de ma direction à la région Occitanie qui m’a vu dans le creux de la vague.
Il confirme que Bastien Chalureau l’a appelé dès le lendemain des faits pour essayer de trouver un arrangement et éviter que l’affaire n’explose. Extrait:
Oui, pas de son plein gré, mais il l’a fait le lendemain. Mais à aucun moment, il ne s’est excusé. Lui, il voulait savoir comment on pouvait s’arranger, régler l’affaire sans qu’elle s’ébruite. Tout de suite, j’ai compris que ça n’allait pas bien se passer. À la fin de notre conversation, je lui ai dit : “Mais j’irai au bout. Et tu oublies de t’excuser. On n’est pas des rugbymen qui se sont battus. J’ai arrêté ma carrière à 30 ans, j’ai 40 ans. Je ne suis plus rugbyman, je suis cadre de la fonction publique, je suis marié, j’ai trois enfants.
Mais il ira au bout de ce procès et ne compte rien lâcher. Extrait:
Le fait que je sois un ancien rugbyman est un pur hasard. Il aurait dit quoi s’il avait croisé deux jeunes joueurs d’origine maghrébine du TFC ? Lors de la première audience, il a quand même évoqué que je portais plainte pour un motif financier, pour créer la polémique et pour récupérer de l’argent. Le juge lui a rappelé que je gagnais plus d’argent que lui à l’époque des faits.
Encore une fois, j’irai au bout. Je suis franco-gabonais, une mère noire, un père blanc, châtain aux yeux bleus, Nassim est franco-algérien, son père algérien, sa mère est blanche et blonde, on a été élevé dans le respect de l’autre, dans la tolérance, l’ouverture sur le monde, sur les autres, sans oeillères. Nassim est chef d’entreprise. Alors, le côté poivrots qui se battent, c’est non, on a passé l’âge. Bastien Chalureau a dit qu’il avait reçu des menaces de mort, que sa famille avait souffert. Moi aussi, nous aussi. On a reçu des menaces proférées par des jeunes d’extrême droite : “On va vous péter la gueule, à coups de barres à mine, on en a fait d’autres.” Des insultes qui évoquent la mort de Martin Aramburu quand même. Quand tu reçois ça, que tes enfants entendent tout et n’importe quoi à l’école, sèchent le lycée et quittent l’internat pour rester à la maison et se sentir préservés… Mes enfants n’ont rien demandé.
Dans la foulée, il rappelle que seul Bastien Chalureau était en état d’ébriété au moment des faits, pas lui. Extrait:
Non, il ne faut pas inverser les rôles. D’ailleurs, quand j’ai été agressé, je me suis rendu immédiatement au commissariat, en voiture, pour déposer plainte. J’étais dans les règles, on m’a simplement suggéré de soigner mes plaies et de voir un docteur avant d’être entendu car j’étais en sang. Lui, en revanche, a reconnu des problèmes d’alcool.
Ce soir-là, il a quand même reconnu, après avoir dit qu’il avait bu une dizaine de verres, qu’il avait ingurgité à lui seul une bouteille de vodka, une autre de whisky et de la bière. Ses deux amis, ceux qui l’accompagnaient, Tudor Stroe et Victor Moreaux, nous ont demandé de partir, de passer notre chemin parce qu’il était incontrôlable.
Quand les pompiers sont arrivés, ils ont demandé l’intervention rapide des policiers et ont signalé son état d’ébriété avancé. Et pour rappel, Victor Moreaux a dû le frapper et le mettre K.-O., d’où la présence des pompiers, pour qu’il arrête. Digne d’un mauvais film de science-fiction. J’étais défiguré et malheureusement mes enfants m’ont vu.
Il dément avoir chambré Bastien Chalureau au cours de la soirée. Extrait:
Lors de cette soirée, je ne l’ai jamais croisé. À aucun moment. Lui, il dit qu’on s’est vu, qu’on s’est parlé, que je l’aurais chambré en lui disant : “Tes crampons n’abîment pas trop les pelouses.” Il dit quand même qu’il a réagi pour répondre à cette phrase. Vous imaginez ? Même si je l’avais croisé et que j’avais dit ça, c’est complètement disproportionné et c’est un danger pour la société avec ses 2,02 m et 130 kg de l’époque. “Il m’a chambré, dit que je joue pas beaucoup, je l’emplâtre jusqu’à la mort.” Rassurant…
Yannick Larguet exprime son très gros agacement concernant le fait que Bastien Chalureau ne veuille pas avouer les propos racistes. Extrait:
Putain, à 40 ans, se faire traiter de bougnoules… J’ai repensé à ma mère, à mon père, à ce que j’entendais quand j’étais plus jeune, à Bourg-en-Bresse, quand je jouais avec mon frère, que mon père était sur le bord du terrain et qu’on entendait, quand je traversais le terrain pour aller marquer : “Attrapez le, le négro.” Dès l’âge de 6 ans, j’ai vu mon père filer des gifles sur le bord du terrain pour défendre ses enfants du racisme. Aujourd’hui, je suis adulte. Mais “les bougnoules, les boucaques “, j’ai trop entendu ces mots-là. Je ne laisserai pas passer ça.
Le coup m’a fait mal, mais il me fait cent fois moins mal que l’insulte. Mais l’insulte… Je venais de perdre ma mère, ma mère noire… Je me suis dit : “Tu ne peux pas laisser passer ça “, pensant également au futur de mes enfants. Comme diraient mes amis du groupe Origines Contrôlées (autrefois Zebda), Mous et Hakim : “Y a pas d’arrangement.” Ils m’ont envoyé un message d’ailleurs, le lendemain… “Ya pas d’arrangement.” Ils savent de quoi on parle. C’est un sujet grave et je m’exprime pour moi, ainsi que toutes les personnes de couleur et de culture différente.
Il dit qu’il n’est pas raciste, qu’il dort en chambre avec Yacouba Camara, le capitaine du MHR, qui est noir. Combien de fois aussi j’ai entendu, “j’aime pas les Arabes, mais les Noirs et les métis, ça va.” Cela veut dire quoi ? Qu’on est raciste, partiellement raciste ? Répondez-moi.
Il a d’ailleurs halluciné en voyant son agresseur enfiler le maillot de l’équipe de France, en mars 2023. Extrait:
J’ai halluciné, mais encore une fois, si la polémique avait éclaté à ce moment, j’aurais répondu : “Je suis choqué, mais je ne suis pas le seul.” J’ai été choqué par le silence, par cette hypocrisie latente des médias, des instances, et, enfin, par le côté anachronique et tardif de la polémique. Je connais bien certains membres du staff des Bleus, et j’ai toujours mis un point d’honneur à les épargner, à éviter ce sujet. Mais je me suis senti seul. Comme Nassim d’ailleurs. On était très amis, une amitié profonde, eh bien cette amitié a décuplé. On s’est replié l’un sur l’autre. On n’avait pas les moyens d’extérioriser. Mais comment il peut être sélectionné une fois ? Et ensuite rappelé ? Et là, Thierry Dusautoir et Pierre Rabadan ont été les seuls à s’exprimer, et ils ont été insultés et menacés.
Est-ce que, pour des raisons de performance, on peut tout cautionner d’un joueur ? Certainement pas.
À l’époque des faits, Bastien Chalureau avait été mis à pied par Toulouse puis transféré à Montpellier. Il y a des histoires toutes les semaines. À Balma (commune de la banlieue de Toulouse), en amateurs, ça m’est arrivé à la fin de ma carrière, lors d’un match contre un club gersois. Si je n’avais rien dit, le joueur aurait continué à insulter. Tout le monde sait, mais personne n’agit. Ça fait deux lignes dans un journal, et deux jours après, c’est oublié. Il faut, selon moi, accompagner, éduquer les jeunes à l’âge où ils sont en mesure de comprendre leurs erreurs, dès l’école de rugby où il faut travailler à éradiquer certaines attitudes et paroles, et en tirer parti avant de sanctionner sans expliquer. Je dois beaucoup au rugby et je veux l’aider à grandir positivement. Il ne faut plus rien laisser passer.
Pour conclure, Yannick Larguet réfute vouloir la fin de carrière de son agresseur. Extrait:
Non, absolument pas. Je ne veux pas la fin de sa carrière. J’insiste sur un point : je crois profondément à la deuxième chance. Il a reconnu ses problèmes de violence, d’alcool, il a travaillé avec un psy pour évoluer. Mais, pour l’instant, je ne lui accorde pas cette deuxième chance, car il n’a pas reconnu le mobile raciste. Car lui et moi on sait ce qui s’est passé, il sait ce qu’il a dit. Et son ami Victor Moreaux a dit lors de l’instruction qu’il n’avait pas entendu l’insulte, mais que Bastien Chalureau aurait pu la dire…