Le XV de France ne sait plus gagner comme avant. Depuis le quart de finale perdu face à l’Afrique du Sud au Mondial, les Bleus ont perdu leur confiance, balbutient leur rugby et semblent piocher physiquement. Le tout, avec l’ombre des absents, qui pèsent encore plus fort depuis ce week-end. État des lieux.
Une lourde défaite face à l’Irlande (38-17), un succès étriqué en Ecosse (20-16), et un nul douloureux contre l’Italie (13-13). Prétendant sérieux au titre mondial à l’automne, favori même pour certains avant de buter sur l’Afrique du Sud, le XV de France n’est que l’ombre de lui-même depuis le début du Tournoi des VI Nations. Explications.
Il a fallu une seconde pour que le match entre la France et l’Italie bascule. Lors de cette 40e minute, lorsque Jonathan Danty a plaqué Juan-Ignacio Brex trop haut, beaucoup trop selon le bunker qui a transformé le jaune au rouge en tout début de deuxième période. On ne dit pas là que c’est à cause de ce fait de jeu que la France n’a pas gagné, mais il a ponctué l’œuvre italienne de la première période: ne rien maîtriser, ne pas peser, mais défendre à la vie à la mort sa ligne (très bas, aux chevilles face aux gros porteurs français). Car les Bleus avaient tout pour faire la différence: dix points d’avance en un quart d’heure, 70% de possession de balle (!), 22 défenseurs battus mais… un seul essai en quarante minutes.
Le reste? Des choix hasardeux (pourquoi éloigner tous ces ballons loin du pack tricolore monolithique, 958 kilos au total, 85 de plus que les Italiens ?), avec des renversements de jeu intempestifs, des erreurs techniques, comme cette passe au pied inopportune de Jalibert directement en touche ou un autre jeu au pied rasant alors que la ligne est en supériorité numérique, et un manque à la fois de patience et de précision qui trahit cette peur de mal faire. Les Bleus ont perdu le fil conducteur, chacun y va de son initiative personnelle mais aussi de sa “cagade”.
Est-ce mental ou physique ? Les deux mon général ?! Avez-vous oublié les prédictions d’une saison pas comme les autres ? Avec des Toulousains et des Rochelais qui, deux semaines seulement après leur ultime bataille au Stade de France, et une poignée de jours de bringue pour les champions de France, se sont retrouvés à suer sous la chaleur de Monaco. Nous étions début juillet, soit il y a bientôt huit mois ! Et dire qu’il reste encore quatre mois de compétitions pour les meilleurs, avec le lot de phases finales Champions Cup-Top 14. Et que les Bleus ont joué 108 minutes en infériorité numérique dans ce Tournoi, ce qui ne manque pas de tirer sur les organismes. Certains l’avouent hors micros…
Et comment ne pas souligner que le jouet semble cassé ? Charles Ollivon, capitaine ce week-end, a beau le réfuter, on ne reconnaît plus les Chelemards de 2022 ni les candidats au titre mondial de 2023. Rossés par l’Irlande, incapables de battre l’Italie, les Français courent après leur période de domination. Celle ou l’identité de jeu était claire et les déplacements de joueurs sur le terrain également. Pas celle où ces derniers semblent perdus, hésitants et auteurs de fautes de main inhabituelles.
Mais depuis ce maudit 15 octobre, le visage n’est plus le même. Même si Fabien Galthié estime que la frontière est mince entre la période dorée et le spleen actuel: “Il ne faut pas grand-chose en fait pour que, aujourd’hui, le rendu douloureux, le rendu difficile, le rendu qui ne nous satisfait pas, bouge vers un rendu plus joyeux, plus agréable et plus harmonieux. Pas grand-chose.” C’est pourtant ce qui nourrit l’idée d’un rafraîchissement dans ce groupe, en donnant leur chance aux Le Garrec, Depoortere ou Gailleton. Mais avec la liste des 19 joueurs protégés annoncée ce lundi matin, la prime devrait encore être donnée à la stabilité dans deux semaines.
Ils ont connu des lundis plus joyeux. En ce début de semaine, le staff s’est quitté pour, comme les joueurs, un petit break avant le dernier bloc au pays de Galles et face à l’Angleterre. Mais les regards étaient soucieux. Et les sujets d’inquiétudes nombreux. Ça s’améliore, mais, contrairement à la mêlée, la touche n’apporte pas encore les garanties nécessaires pour mettre le jeu des Bleus sur orbite. Laurent Sempéré en parlait avant le match : “Il faut maîtriser un peu plus. C’est un secteur dans lequel on veut progresser. Au départ tu répètes, maintenant il faut être maître”.
Le co-entraîneur en charge de la conquête sait pertinemment que son bilan sera mis en perspective avec celui de son prédécesseur Karim Ghezal, tout comme celui de Patrick Arlettaz sur l’animation sera comparé au travail de Laurent Labit. Face à ces deux “ex”, au statut de leader du Top 14 avec le Stade Français, les nouveaux membres du staff, sans expérience internationale, se savent épiés. Et Arlettaz doit s’arracher les cheveux quand il débriefe les attaques de ses joueurs, qui apparaissent sans véritable cohérence. Ou alors elle ne se voit que peu…
Car quelle est l’identité de cette équipe ? On comprend qu’elle tape 41 fois dans le ballon en Ecosse, sous la pluie et qu’elle ne le fasse que 20 fois avec le toit fermé du stade Pierre Mauroy de Lille contre l’Italie, pas de problème. Mais pourquoi alors vouloir tant déplacer le ballon dimanche dernier en première période avec un pack proche de la tonne (958 kg, 85 de plus que l’Italie) et des profils tels qu’Atonio, Tuilagi, Aldegheri ou Romain Taofifenua ? L’essai d’Ollivon avait pourtant montré la voie. Ou alors, à l’inverse, pourquoi ne pas changer des joueurs pour pratiquer un rugby plus “enlevé” ? Dans cet épisode post-Coupe du monde, le sélectionneur Fabien Galthié semble tâtonner.
Oui, le choix a été fait depuis longtemps. Oui, il semble s’amuser comme un petit fou dans les intervalles qu’il se créé à Vancouver, avant d’en déceler d’autres à Los Angeles. Mais diable, que l’absence d’Antoine Dupont pèse sur ce quinze de France ! Y compris sur ce pauvre Maxime Lucu, pas devenu si mauvais du jour au lendemain, lui qu’on connaît grand leader à l’UBB. Il n’empêche, le Basque n’y arrive pas et on ne se passe pas comme ça des qualités de Dupont : un jeu au pied monstrueux, une défense sur l’homme intransigeante et évidemment, un appétit offensif qui polarise l’attention des défenses, ce que ne fait pas Lucu, plus “passeur”.
Et quand vous ajoutez le forfait de Romain Ntamack, c’est là que l’on mesure que les plus grands matchs sous le mandat Galthié ont été menés par la charnière toulousaine (Angleterre et Galles 2019, Nouvelle-Zélande 2021, Grand Chelem et Afrique du Sud 2022 et Angleterre 2023). On ne se passe pas si facilement d’un duo que beaucoup d’équipes nous envient et dont peu (aucune ?) disposent. Matthieu Jalibert, forfait jusqu’à la fin de la compétition, n’arrive toujours pas à subtiliser le fauteuil de 10 malgré quelques bonnes prestations par le passé.
Alors si vous ajoutez les blessures de Flament, Jelonch, Meafou (attendu depuis des mois par le staff) et Alldritt sur le dernier match, c’est plus d’un tiers de titulaires en puissance qui manque à l’équipe. Ce qui, pour n’importe quelle sélection, serait une équation très difficile à résoudre. Grégory Alldritt devrait toutefois faire son retour pour aller à Cardiff. On attend également que les deuxièmes lignes toulousains retrouvent les terrains avec leur club, car Flament n’a plus joué depuis le 9 décembre et Meafou le 21 janvier. Même s’ils sont rapidement opérationnels en Top 14 (ce week-end contre Castres ?), pas évident dans leur cas de se projeter sur le niveau international. Ce qui ne donne pas trop de solutions venues de l’extérieur à Fabien Galthié s’il continue de faire confiance à ses fidèles de la première heure. Après un premier rebond en Ecosse, personne n’attendait une telle rechute italienne. Il faudra donc être fort, dans deux semaines à Cardiff, pour trouver les ressorts.
Via RMC Sport