L’entraîneur de la touche du XV de France, Laurent Sempéré s’est longuement confié dans les colonnes du Midi Olympique pour évoquer le Tournoi des Six-Nations effectué par les Bleus.
Il raconte ses premiers pas au sein du staff Tricolore, lui qui venait tout juste de quitter le staff technique du Stade-Français Paris. Extrait:
“Entre mon dernier match avec le Stade français et le début du Tournoi des 6 Nations, j’ai eu du temps pour me préparer, adapter ma méthode, la planifier et observer ce qui se faisait. J’ai aussi pris le temps de faire connaissance avec mes nouveaux collègues. Nos deux séminaires à Marcoussis ont été très bénéfiques. Un gros travail pour définir notre chemin, savoir comment on allait se comporter, vivre ensemble, a été fait. Nous avons défini le cadre. J’ai alors compris le fonctionnement et les relations au sein du staff. J’ai senti une forte volonté de continuer à écrire quelque chose de fort avec les joueurs. C’est “challengeant” en raison des objectifs élevés.
Mais sur le papier, c’est un monde idéal. Comme disait Mike Tyson : “on a tous un plan jusqu’au moment où l’on prend le premier coup de poing dans la gueule”. Rien ne remplace le vécu. D’ailleurs, durant ces temps d’échanges, Fabien Galthié a évoqué une éventuelle tempête durant le Tournoi. À cet instant, il sait que c’est une éventualité et que l’on doit s’y préparer. Au même titre que l’on prépare les scénarios de match, nous avons aussi anticipé nos scénarios de compétition. En clair, on a mis en place notre fonctionnement, nos règles en cas de tempête. Mais quand la tempête est là…”
Il avait hâte de retrouver les joueurs à l’issue du quart de finale de la Coupe du monde. Extrait:
“Personnellement, j’étais impatient de reprendre contact avec les joueurs. J’étais en manque de cette relation humaine dont on se nourrit chaque jour lorsqu’on évolue en club. Il me tardait d’avoir un contact avec eux, de comprendre leurs attentes, de m’aligner avec eux. Nous ne l’avons pas fait tant que nous n’avions pas fini notre travail en interne avec le staff. Il fallait que nos messages soient carrés, qu’ils soient validés par tous.
Une grande partie du temps a été consacrée à la digestion de nos expériences passées. Nous en avions tous besoin, le staff déjà présent lors du Mondial peut-être un peu plus. Pour eux, il était intéressant d’avoir le retour des nouveaux. Ce travail a été très bénéfique pour le staff. Il nous a permis d’avancer vite. Les joueurs, eux, étaient focus sur la compétition avec les clubs. Ils n’ont pas eu le temps de faire le travail que nous avons mené. Et quand nous nous sommes retrouvés, ce décalage s’est vraiment ressenti.”
Il raconte ensuite son premier rassemblement avec le groupe France. Extrait:
“J’ai été très bien accueilli. Évidemment, j’ai dû trouver ma place au milieu d’un groupe fort, qui fonctionne bien et qui a ses habitudes. J’ai donc d’abord beaucoup observé, mais j’ai senti très vitequ’il me faudrait du temps, mais que tout se ferait naturellement. La Coupe du monde, j’avais trop de pudeur pour en parler avec les joueurs. Je n’avais pas la légitimité de l’évoquer. J’ai donc préféré rester à ma place. Commencer un second mandat, c’est comme compléter un puzzle. J’étais une des nouvelles pièces à intégrer. Et personnellement, j’ai besoin d’avoir beaucoup de pièces autour de moi, de les sentir, de les comprendre pour être au cœur du groupe, au cœur des choses. Mais les relations humaines, pour qu’elles soient authentiques, doivent se faire naturellement, progressivement. Avec du temps.”
Il a alors mis en place de nombreux changements au sein de la touche. Extrait:
“Nous avions une problématique d’urgence, notamment concernant la touche. J’avais beaucoup de choses à mettre en place. Mais je voulais aussi prendre mon temps dans la construction de la relation humaine, les deux sujets étant étroitement liés. Pendant les séances “d’entraînement à entraîner” que nous avions faites au cours des “séminaires staff”, j’ai touché du doigt le fait que le temps était vraiment limité et qu’il faudrait aller à l’essentiel.
En amont du premier rassemblement, j’avais fait pas mal de visios avec les leaders identifiés comme François Cros ou d’autres. Je suis aussi allé voir Charles Ollivon et Esteban Abadie à Toulon, j’ai également échangé avec Thibaud Flament durant la période où il était blessé en accord avec le staff du Stade toulousain. Je leur ai, à tous, présenté le système que je voulais introduire et mesurer leur appétence pour ce secteur-là. Avec un peu de recul, c’était ambitieux, mais aussi à haut risque, de changer en profondeur. Toutefois, c’était la base d’un nouveau départ.”
Il évoque ensuite la grosse claque reçue contre l’Irlande au Stade Vélodrome de Marseille, lors de la première journée du Tournoi des Six-Nations. Extrait:
“L’ambiance à Marseille, la passion autour de l’équipe, la ferveur des supporters, tout était magnifique. Toute ma famille, mes parents, mon épouse, mes enfants, mon frère, mes beaux-parents, mes potes d’enfance… tous étaient au Vélodrome pour ce premier match. Je n’ai vu finalement personne. Après la rencontre, je me suis enfermé avec mon ordinateur dans ma chambre. J’avais besoin d’être dans ma bulle. Je ne suis pas au fond du seau à ce moment-là, je sais qu’il reste quatre matchs, peu de semaines d’entraînements et je me mets en mode combat, en mode opérationnel. Je me recentre sur moi et les joueurs. Plus rien n’existe alors autour de moi.”
Il ne le cache pas : la touche a été un secteur catastrophique. Extrait:
“Les chiffres sont affreux. Nous perdons quatre ballons sur nos lancers, les autres sont franchement dégueulasses. Pire, on prend deux essais sur ballons portés (il souffle longuement). Après, le scénario a été difficile : Paul Willemse écope d’un carton rouge après 20 minutes… En gros, on perd notre meilleur lifteur, un joueur central dans l’alignement. Et on se retrouve avec un joueur de moins pour défendre les mauls. Si c’était arrivé après trois ou quatre matchs, nous l’aurions mieux géré. Or, là, nous n’avions pas encore les armes. Nous étions en train de réciter une partition pas encore maîtrisée.
Pour une première, je n’ai pas vécu un très bon moment (rires). Ce match, ce n’est pas une gifle, c’est un K.-O. Mais rien ne remplace une telle expérience. J’ai apprécié la confiance des joueurs, leur adhésion et leur investissement redoublé. Ce qui m’a fait mal, c’est de les voir prendre des coups. Les coups médiatiques, je préfère les prendre à leur place. Ils en prennent suffisamment sur le terrain. Mais là, après ce premier match, il y en a eu pour tout le monde.”
Malgré la lourde défaite, il affirme que cette défaite a permis à l’équipe de France de gagner beaucoup de temps. Extrait:
“Avec le recul, sans être la performance attendue, ce fut une expérience très riche. Ce premier match nous a fait gagner beaucoup de temps. D’abord, dans la relation humaine. Tout le côté superficiel est tombé. On a été obligé d’aller à l’essentiel. Et nous avons accéléré la découverte de l’autre, l’acceptation d’un nouveau système. C’est là que ma place s’est faite plus naturellement. Je suis de ceux qui croient qu’on construit plus solidement dans la difficulté. On a vu après ce premier match comment chacun se comportait. Et surtout, nous n’avons absolument rien changé pour la suite.
Le système est resté le même. J’ai la chance d’avoir des leaders forts, restés focus sur le rugby. Je pense à Charles (Ollivon), Cameron (Woki), François (Cros) et même Esteban (Abadie). Ça nous a permis de comprendre ce que nous faisions, pourquoi nous avions telle ou telle sortie et pas une autre, pourquoi défendre les mauls de telle façon et pas une autre et pourquoi nous accordions autant d’importance au positionnement de chacun sur les ballons portés. Nous étions dans l’obligation de mieux maîtriser le système. L’avantage, c’est que nous sommes arrivées en Écosse avec une semaine d’entraînement supplémentaire. Et ça change beaucoup de choses…”
Les matches qui ont suivi ont été bien meilleurs dans le secteur de la touche. Extrait:
“Ces deux matchs me confortent dans mon idée. Nous passons de quatre ballons perdus en touche contre l’Irlande à un seul sur chacun des deux matchs contre l’Écosse et l’Italie. Surtout, il y a encore une progression entre le match à Édimbourg et celui de Lille sur la qualité des ballons gagnés. Si contre l’Écosse, je nous sens encore fragile, face à l’Italie, treize ballons gagnés sont de bonnes qualités, un seul n’est pas vraiment exploitable comme annoncé. C’est mieux. Bien mieux. Mais c’est loin d’être encore ce que l’on souhaite, loin de ce que cette équipe est capable de faire. C’est rassurant. On a senti que les joueurs maîtrisaient mieux le système. À Lille, j’ai vraiment senti qu’ils se l’appropriaient. En fait, sur ces deux matchs, c’est devenu NOTRE système.”
Il concède cependant que le match nul concédé contre l’Italie n’est pas un bon résultat. Extrait:
“Ce n’est pas un coup d’arrêt. Certes, le résultat n’est pas bon, mais on a passé six minutes dans les 22 mètres italiens, eu huit occasions de scorer, sans jamais concrétiser. On sent pourtant quelque chose se mettre en place, mais nous prenons ce carton rouge et perdons le fil du match. L’environnement ne peut pas l’entendre, mais quelque chose prend forme. Ce n’est d’ailleurs pas simple à vivre. À ce moment-là, je sens bien que ça doit être intense à l’extérieur. Je m’en rends compte lorsque je m’aperçois que je n’appelle plus du tout mes parents, que je passe des journées entières sans penser à appeler mes enfants. Je prends conscience que je me coupe de l’extérieur. Pour le bien de l’équipe et de nos joueurs, je reste focus sur ce que j’avais planifié, tout en optimisant le moindre détail.”
Il est conscient que la tempête médiatique devient très forte autour des Bleus. Extrait:
“L’environnement médiatique, il m’interpelle quand il touche les joueurs. J’essaie de le comprendre pour mieux les protéger. Mais mon marqueur, c’est la performance. C’est elle qui m’a fait mal au début, tout comme c’est elle qui me permet d’aller mieux et de garder foi en ce que je propose aux joueurs. Mais l’environnement médiatique ne m’affecte pas. Je reste concentré sur moi. Et l’expérience de William (Servat) m’est précieuse, tout comme les échanges avec les autres membres du staff. Nous avons traversé ensemble cette tempête et nous en sommes sortis renforcés.”
Il ne le cache pas : une énorme pression régnait sur les épaules des Français pour le match contre les Gallois, à Cardiff. Extrait:
“Le plaisir est de retour pour tout le monde alors que la pression est énorme. En jouant en dernier à Cardiff, tous les résultats font qu’on sait qu’en cas de défaite, on peut se retrouver dernier au classement. Mais ce n’est pas ce qui nous anime alors. Ce groupe n’est pas en réaction. C’est un groupe qui a beaucoup d’ambitions et d’exigences envers lui-même. En fait, je ressens une véritable libération. Jusque-là, nous avions été fragiles. À Cardiff, nous nous sommes libérés de nos faiblesses. Malgré la satisfaction, on n’a pas le temps de se réjouir, l’Angleterre, c’est déjà demain. Et nous savons qu’on dispute le dernier match en France alors que nous n’avons toujours pas gagné devant nos supporters.
En touche, ce quatrième match, c’était un nouveau pari. Nous avions joué les trois premiers avec les mêmes joueurs ou presque, trois matchs où les gars avaient commencé à s’approprier le système en touche ou sur les ballons portés. Or, on intègre deux nouveaux joueurs : Emmanuel Meafou et Thibaud Flament, avec le risque de repartir à zéro. J’avais encore le choc de l’Irlande en tête, je n’avais pas envie de le revivre. Ça a été un vrai challenge. Mais au final, l’équipe a continué à progresser. Pour moi, ça a été un marqueur important pour mesurer le niveau de maîtrise des autres joueurs. D’autant plus que nous avions confié l’annonce des combinaisons en touches à Thibaud Flament. J’avais anticipé en restant au contact avec lui pendant chacune des trois premières semaines. Durant cette période, il a vraiment été moteur. C’était aussi une façon de catalyser son intégration.”
Pour conclure, il évoque le Crunch remporté. Extrait:
“Un quart d’heure après le match à Cardiff, on a pensé à ce match. On savait dès le départ que ce serait un rendez-vous important. Malgré une semaine courte de préparation, Fabien décide de conserver sa confiance à la même équipe. Tout le monde est sur la même longueur d’onde. Une évidence. Et on sent que les joueurs sont alignés avec nous. C’est parti. Après, on n’a pas encore de grandes certitudes quant au résultat contre l’Angleterre. On vient de voir quand même ces Anglais battre l’Irlande qui nous a roulé dessus… On sait que ça va être un nouveau défi. Mais on se concentre sur notre jeu, sur nous, sur nos joueurs. On sent que nous sommes en ordre de match. On le voit dans les retours d’entraînements avec les joueurs, on le voit dans les data. L’objectif, c’était de ne pas perdre le fil, de poursuivre notre progression. Les joueurs ont relevé le défi.”
Désormais, Laurent Sempéré se tourne vers la Tournée estivale des Bleus, en Argentine. Extrait:
“Cette tournée en Argentine va nous permettre de découvrir des nouveaux joueurs. Certains auront évidemment fait le Tournoi, d’autres seront en découverte. L’idée, c’est d’embarquer un maximum d’éléments dans cette aventure du XV de France, ce qui nous fera gagner du temps pour l’avenir. Travailler avec des nouveaux joueurs, ça va ressembler à ce que j’ai vécu pendant le Tournoi (rires). En amont de la compétition, les trois objectifs étaient la maîtrise du système d’annonces en touche, être capable d’intégrer la défense des ballons portés et bien utiliser notre force sur nos mauls. La deuxième phase va débuter, il nous faudra consolider ces bases, développer les repères communs dans les airs pour être plus performants sur les touches défensives et être plus précis sur nos constructions de ballon porté.”