Comme beaucoup d’autres salariés du syndicat Provale ces dernières années, Mathilde et Yannick Lacrouts ont été brusquement poussés vers la sortie, le même jour. Symptomatique des méthodes employées, avec des raisons avancées par la direction qui interpellent quand il s’agit d’un syndicat censé prendre soin des travailleurs, ils ont été évincés pour des raisons plutôt surprenantes. Histoire d’un couple sans histoire, traumatisé par ce qu’il lui est arrivé.
Dans une carrière professionnelle, être licencié par son employeur pour faute n’est pas chose commune. Mais l’être en compagnie de son conjoint, et quasiment le même jour, c’est encore plus rare. C’est pourtant ce qui est arrivé en ce début d’année à Yannick et Mathilde Lacrouts, salariés de Provale, le syndicat des joueurs de rugby. Mariés et parents d’une fille de 12 ans, ils y travaillaient tous les deux depuis respectivement 15 et 10 ans. Elle, chargée de communication et lui, chargé de mission réseau, avec plusieurs clubs sous sa responsabilité à visiter. Mais dans un rayon proche de son domicile (Colomiers, Castres et Montauban), car depuis plusieurs années, Yannick est dialysé trois fois par semaine et a donc le statut de travailleur handicapé. Son emploi est à temps partiel, payé deux jours par son employeur et complété par une pension d’invalidité.
Quand elle part en congés en cette fin d’année 2023, Mathilde Lacrouts ne se doute pourtant pas une seconde de ce qui l’attend pour sa reprise. “Ma dernière semaine à Provale avait été normale explique-t-elle. J’avais préparé mes projets de rentrée, je m’étais rendue à Castres pour préparer un tournage concernant la santé mentale des joueurs, j’avais anticipé mes newsletters, tout programmé, calé plein de choses avec les joueurs, notamment ceux de Toulouse comme Juan Cruz Mallia, Matthis Lebel ou Sofiane Guitoune”.
Mais de retour en ce lundi 8 janvier, alors qu’elle travaille de chez elle, en distanciel (c’est le cas deux jours par semaine dans son service), au moment où elle ouvre sa boîte mail, elle découvre un message programmé tombé à 8h, en provenance de la direction, qui lui demande de prendre connaissance de la pièce jointe. Immédiatement, les mots “sanction” et “licenciement” lui sautent au visage. Avec comme sentence, la convocation à un entretien préalable à un licenciement. “Nous vous informons que nous sommes amenés à envisager à votre égard une sanction pouvant aller jusqu’au licenciement”. Le monde s’écroule sous ses pieds…
Anti-dépresseurs, anxiolytiques et somnifères
Habituée de la maison, Mathilde connaît ce genre de procédure. Elle a bien observé la valse des collègues années après année, dans une certaine politique de départs. Juste avant elle, Juan Martin Berberian (poussé à la rupture conventionnelle en octobre) et Addison Lockley (licenciement pour faute lourde en décembre) ont subi ce triste sort. Avec, à chaque fois, ce sentiment d’injustice. Mais, sans le savoir, elle ne va pas être seule à vivre ça. Bouleversée d’imaginer la fin de l’histoire après des années, elle appelle alors son supérieur hiérarchique qui, à l’autre bout du fil, n’est tout simplement pas au courant. Sans moyen d’en savoir plus, la journée va être longue.
Alors qu’elle n’est convoquée que deux semaines plus tard, une éternité dans sa situation, elle reçoit déjà des messages de soutien de la part de son réseau. Et selon les témoignages qui lui parviennent, elle apprend que d’autres personnes sont déjà au courant que… “deux personnes vont être virées” ! Elle a compris. Le soir même, elle dit à Yannick, son compagnon, qui rentre de sa dialyse comme tous les lundis, de se tenir prêt. Persuadée que son couple est visé. Et le lendemain matin, Yannick reçoit effectivement le même mail. Sans la moindre communication, avec interdiction de se rendre dans les locaux du syndicat, pendant quinze jours ils sont rongés par l’idée de savoir ce qu’on leur reproche. Anti-dépresseurs, anxiolytiques et somnifères deviennent le quotidien de Mathilde.
Vient le jour de la confrontation. Le 23 janvier, le couple Lacrouts est convoqué à une heure trente d’intervalle. Les deux reçus par le président de Provale, Robins Tchale Watchou. Dans le rapport du conseiller du salarié (personne extérieure à l’entreprise qui accompagne un salarié à un entretien préalable quand il n’y a pas de délégué du personnel), que RMC Sport a pu lire, on découvre les griefs du président du syndicat à leur égard. Pour elle, cela concerne la réalisation et la mise en œuvre du podcast dont elle avait la responsabilité. On lui reproche “son manque d’investissement, de résultats et son refus d’être accompagnée”.
Un syndicat soumis aux objectifs commerciaux ?
En somme, d’avoir travaillé seule et des chiffres d’écoute faibles (200 téléchargements en moyenne). Le président vient à comparer ses résultats à ceux des podcasts… de médias nationaux. Pour Yannick, c’est un travail “insuffisant” auprès de l’Union des Clubs de Rugby Amateurs Français (UCRAF) qui est pointé du doigt. Cette nouvelle mission qui était attribuée depuis seulement quatre mois. L’ancien pilier, passé notamment par Auch, La Rochelle, Pau ou Bordeaux devra aussi se défendre d’un objectif d’adhésions de joueurs “non atteint” à mi-saison. Ce que lui réfute. Provale, un syndicat soumis aux objectifs commerciaux, source de licenciement. Cela peut surprendre.
Selon des témoins, le président Robins Tchale Watchou aurait été jusqu’à déclarer que si Yannick Lacrouts était présent chez Provale, c’était grâce à lui. Qu’il l‘avait embauché “contre l’avis du comité directeur et de tout le monde, dans un souci d’humanité”. Qui s’est considérablement amenuisé depuis visiblement. Vérification faite, C’est Serge Simon qui a fait rentrer Yannick en CDD au sein de l’institution et selon des témoins du comité directeur en question, Tchale Watchou était même opposé à une proposition de CDI le concernant, les autres membres ayant insisté pour qu’il soit régularisé.
“C’est un tsunami qui a traversé notre famille”
Le 5 février, ils reçoivent tous les deux leur lettre de licenciement, requalifié en “cause réelle et sérieuse” et perçoivent des indemnités. Depuis un mois pour elle mardi dernier pour Yannick, ils ne font officiellement plus partie de Provale. Fin de l’histoire. Le coup est rude pour ces salariés sans problème, embarqués dans l’aventure depuis des années. D’autant qu’il touche un foyer. Mathilde et Yannick ont reçu beaucoup de soutiens de joueurs et d’entraîneurs, (très) connus pour la plupart.
Des appels de membres du comité directeur, où siègent d’anciens joueurs notamment, qui pour certain(e)s ont découvert avec stupéfaction la situation et se sentiraient “coupables”. Comme beaucoup d’anciens salariés du syndicat, les Lacrouts ont été brusquement poussés vers la sortie. “Je tourne la page avec beaucoup de tristesse a-t-elle confessé. C’est un tsunami qui a traversé notre famille. L’incertitude qui règne sur notre recherche de travail aujourd’hui n’est pas simple non plus. Il va falloir un peu de temps pour nous reconstruire”. Aujourd’hui, ils réfléchissent à attaquer Provale pour licenciement abusif.
Via RMC Sport