Je ne veux pas dire « je vous l’avais bien dit », mais, pourtant, « je vous l’avais bien dit ». Lorsque Montpellier a présenté Patrice Collazo comme son nouvel entraîneur en novembre dernier, j’ai prédit que ça ne se passerait pas mieux. Je me suis dit qu’il était l’équivalent pour le rugby français de Sam Allardyce pour le football anglais : un homme grand par la carrure mais petit par la stratégie.
Montpellier était dernier du Top 14 lorsque Collazo a été engagé pour remplacer Richard Cockerill. Il reconnaît l’ampleur de la tâche mais affirme aux médias qu’il est prêt à relever le défi. Six mois plus tard, Montpellier est avant-dernier ; à proprement parler, Collazo a eu un effet positif sur le club méditerranéen, mais une 13e place au lieu d’une 14e n’est probablement pas ce que Mohed Altrad, le propriétaire du club, avait à l’esprit lorsqu’il a procédé à la désignation de Collazo.
La claque de l’USAP
La dernière victoire de Montpellier en Top 14 remonte au 9 mars, lors d’une victoire 10-3 sur l’Union Bordeaux-Bègles. Depuis, les Montpelliérains ont perdu tous leurs matchs : à l’extérieur contre Pau et Toulon (54-7 pour ce dernier), à domicile contre le Stade français et Perpignan, puis d’un point à Castres dernièrement.
La défaite contre Perpignan, un derby local, a été particulièrement humiliante. Perpignan a attiré environ 4 000 supporters au stade GGL, alors que le nombre officiel de billets était de 625. Avant le match, Altrad avait refusé d’augmenter le nombre de billets pour le club catalan, déclarant en riant que « le public de Perpignan ne doit pas nous envahir lors de la rencontre. Ça reste le stade de Montpellier, ça n’est pas Aimé-Giral ». Mais les supporters perpignanais ont obtenu des billets et le bruit qu’ils ont fait a donné l’impression que leurs joueurs jouaient chez eux.
Un club sans identité sous White et Cotter
L’expérience a été éprouvante pour Altrad. Mais il ne peut s’en prendre qu’à lui-même. Il y a deux ans, le magnat des affaires semblait avoir réalisé son ambition de transformer Montpellier en une machine surpuissante. Après avoir acheté le club en 2011 pour 2,4 millions d’euros, Altrad a vu peu de retour sur son investissement au cours de la première décennie ; Montpellier a atteint deux finales du Top 14 mais a perdu les deux, et le club n’a remporté que la Challenge Cup européenne en 2016 et 2021.
La victoire de 2021 a été orchestrée par Philippe Saint-André, qui a été engagé comme directeur du rugby par Altrad en mars 2020. L’entraîneur principal était Xavier Garbajosa, l’ancien arrière de l’équipe de France, qui occupait son poste depuis 2019, en remplacement de l’expérimenté Vern Cotter. Ce dernier avait à son tour succédé à Jake White en 2017.
À eux deux, le Sud-Africain White et le Néo-Zélandais Cotter avaient fait de Montpellier un club sans identité forte. C’en était trop pour certains. Charles Géli, le talonneur français du club, s’en plaignait dans le Midi Olympique en 2017 : « 70 % du groupe ne parle pas ma langue et les mecs qui sont là depuis deux ans, esquissent à peine deux mots de français. J’aurais dû aller jouer à l’étranger, comme ça, j’aurais su pourquoi c’était à moi de m’adapter ! C’est la première fois dans ma carrière qu’en l’espace de deux ans, j’ai autant régressé en rugby et progressé en anglais. »
« 70 % du groupe ne parle pas ma langue. J’aurais dû aller jouer à l’étranger, comme ça, j’aurais su pourquoi c’était à moi de m’adapter ! C’est la première fois dans ma carrière qu’en l’espace de deux ans, j’ai autant régressé en rugby et progressé en anglais ! »
Passage de l’ère anglophone à l’ère française
L’argument fut entendu par Altrad. Plus de Français et moins de Sud-Africains ont été recrutés, dont la clé a été Guilhem Guirado, arrivé en provenance de Toulon au début de la saison 2019-20. Vainqueur du Top 14 avec Perpignan, et vainqueur de la Champions Cup avec Toulon, le joueur alors âgé de 33 ans a apporté à Montpellier son expérience, son envie et sa fierté. Ça a déteint sur les jeunes Français de l’équipe, comme Anthony Bouthier, Yacouba Camara, Arthur Vincent et Mohamed Haouas.
Le passage de l’ère anglophone à l’ère française a pris du temps et le jeune Garbajosa n’était pas l’entraîneur idéal pour mener Montpellier sur la voie de la transformation. « Il est arrivé avec un projet de jeu ambitieux, très expansif, mais ça n’a pas pris parce qu’il avait encore l’effectif des entraîneurs précédents, qui pratiquaient un jeu plus fermé », observait Julien Tomas, l’ancien demi de mêlée montpelliérain qui a fait partie du staff du club de 2018 à 2020.
Saint-André avait laissé du temps à Garbajosa pour essayer de développer son rugby, mais c’est finalement Altrad qui a pris la décision de le relever de ses fonctions en janvier 2021. « Le potentiel est là, l’équipe est bonne, mais je ne vois pas de système de jeu », avait-il alors confié. « Quand j’assiste à l’entraînement, je ne comprends pas toujours ce qu’il s’y passe. Il s’agit de faire le plus de passes au large, mais il n’y a pas d’efficacité, pas d’assise, pas assez de puissance devant. On nous critiquait quand on marquait en force avec les avants mais là, j’aimerais voir une animation offensive. »
La belle ère Saint-André
Saint-André et sa nouvelle équipe d’entraîneurs, composée de Jean-Baptiste Elissalde et d’Olivier Azam, sont aux commandes pour la saison 2021-22, et parmi les nouveaux visages de l’équipe se trouvent trois personnes qui exerceront une influence significative : le centre français vétéran Geoffrey Doumayrou, le demi d’ouverture italien Paolo Garbisi et le numéro huit anglais Zach Mercer.
La force de Saint-André a toujours été de repérer les joueurs qui conviennent à ses équipes ; il l’a fait à Toulon, où il a recruté, entre autres, Jonny Wilkinson et Bakkies Botha, alors que de nombreux commentateurs pensaient que les blessures avaient eu raison d’eux. Il a recruté Mercer parce qu’il pensait que son rugby était adapté au Top 14.
Et il avait raison. Mercer a été la force physique d’une équipe montpelliéraine qui a remporté le titre du Top 14 en 2022, complétant la force émotionnelle apportée par Guilhem Guirado. À la veille de la finale contre Castres, le journal Le Monde dressait le portrait de Montpellier sous le titre : « Ancien ‘club de mercenaires’ du rugby, Montpellier s’est réinventé ».
Parmi les témoins cités dans l’article, Thomas, qui a joué pour le club à l’époque d’Altrad, se réjouissait. « Des efforts ont été faits en amont, le club a retrouvé son ADN », disait-il. « Avant, le club se fichait de la formation, chaque problème était compensé par un recrutement. »
L’ancien international français devenu commentateur Maxime Mermoz ajoutait : « Quand je regarde l’effectif, je vois une équipe pleine de leaders et ça change du passé. Quelqu’un comme Guirado ne va pas beaucoup parler, mais il va montrer l’exemple ».
La chute
Montpellier ne s’est pas reposé longtemps au sommet du rugby français. Guirado a pris sa retraite et l’équipe a été perturbée par des controverses en dehors du terrain, notamment l’arrestation de Mohamed Haouas pour violences conjugales et le procès et la condamnation pour corruption d’Altrad dans une affaire qui a fait la une des journaux du monde entier.
Mohed Altrad a été condamné à une peine avec sursis, tout comme son coaccusé, Bernard Laporte, qui a toutefois été contraint de démissionner de son poste de président de la FFR. « Bernie le Dingue » n’est pas resté longtemps sur le banc des accusés : Altrad l’a choisi pour remplacer Saint-André au poste de directeur du rugby de Montpellier.
Jusqu’à présent, il n’a pas réussi. Patrice Collazo non plus.
En novembre, j’ai dit qu’il serait surprenant que Collazo aille jusqu’au bout de son contrat de 18 mois. Si Montpellier est contraint de subir l’humiliation de jouer le deuxième de ProD2 en match de barrage de relégation (Oyonnax semble condamné à la relégation automatique), on voit mal comment Altrad pourrait justifier le maintien de Collazo. Cela impliquerait un nouvel entraîneur principal, le huitième en treize saisons depuis que Altrad est le président.
Comme l’a prouvé Toulouse dans l’ère professionnelle avec ses deux entraîneurs, la continuité crée l’écosystème de la réussite. Il en va de même dans le football, comme l’ont démontré Sir Alex Ferguson à Manchester United et Pep Guardiola à Manchester City.
La loyauté, selon Altrad
Altrad est devenu milliardaire après avoir fondé une société d’échafaudages dans les années 1980. En 2015, il a été reconnu entrepreneur mondial de l’année. Interrogé par la BBC sur le secret de sa réussite commerciale, Altrad avait répondu : « La tendance générale des grands groupes comme le nôtre est de remodeler [les entreprises qu’ils reprennent] et de les rendre plus ou moins standard. Cela va absolument à l’encontre de mon concept. »
Son concept, expliquait-il, est de conserver l’identité des entreprises qu’il rachète afin que les travailleurs se sentent encore loyaux.
Ce n’est pas un principe qu’il applique à son club de rugby. Depuis qu’il est aux commandes, Altrad a remodelé Montpellier un nombre incalculable de fois, engageant et renvoyant des entraîneurs et faisant peu de cas de l’identité de l’équipe.
Ce n’est peut-être pas d’un nouvel entraîneur dont Montpellier a besoin, mais d’un nouveau propriétaire.
Via RugbyPass
Altrad n’a pas créé une entreprise d’échafaudage, il a racheté la société Mefran basée à Florensac et la faite prospérer…