Arrivé à Toulouse en 2020, le deuxième ligne du Stade-Toulousain, Thibaud Flament n’est pas toujours titulaire avec le club de la Ville Rose alors qu’il est devenu indispensable à l’équipe de France.
Interrogé via L’équipe, ce-dernier avoue trouver cela déstabilisant mais également stimulant. Extrait:
C’est à la fois déstabilisant et stimulant. Quand tu penses que tu mérites la place et que tu n’y es pas, il faut savoir encaisser. Ça te met face à la réalité : il y a un mec qui joue mieux que toi. Il faut donc trouver des solutions pour bousculer la hiérarchie. Le discours du rugby aujourd’hui dit que l’important, c’est d’être dans les 23. Il y a une part de vérité mais le travail qu’on fait toute la semaine, c’est pour démarrer les matches. Contre le Racing (31-7, le 7 avril) et Exeter (64-26, le 14 avril), en huitièmes et en quarts de Coupe d’Europe, je ne suis pas heureux quand je suis remplaçant.
Il ne vit pas cela comme une injustice. Extrait:
Non, pas du tout. Après les rencontres contre Bordeaux et Pau, en Top 14, j’avais l’impression de ne pas être au bon endroit au bon moment, de ne pas avancer au contact, je me faisais plaquer rapidement, je ne faisais pas d’offload, je ne contrais pas en touche. Ça ne correspondait pas à ce que je faisais d’habitude et un texto d’Ugo Mola a rapidement confirmé mon ressenti.
Il explique précisément pourquoi il était devenu moins performant. Extrait:
J’ai exploré plusieurs pistes. Je suis allé voir les toubibs et on s’est rendu compte qu’à la suite de ma blessure (fracture du gros orteil en décembre), ma prise d’appuis s’était modifiée à droite car j’évitais de mettre du poids à cet endroit. J’avais moins de propulsion. Avec Allan (Ryan), le responsable de la préparation physique, on a regardé mes stats. En match, j’étais plus lent qu’avant. Par exemple, je couvrais moins de distance à plus de 18km/h. Alors j’ai fait des extras après les séances pour mettre des coups d’accélérateur. À l’entraînement, je me suis astreint à plus de sprint.
Il a également travaillé sur l’aspect mental. Extrait:
Oui car c’est quelque chose qui m’intéresse. Je me suis demandé si, après avoir réussi mon retour en équipe de France pour la fin du Tournoi (il a disputé les matches contre Galles et l’Angleterre), je n’avais pas inconsciemment relâché mon niveau d’éveil, de vigilance, de pression. Je travaille avec une psychologue depuis que j’ai fait des commotions à répétition (trois la saison dernière), c’est une démarche personnelle, comme un travail de développement personnel. Ça me plaît car j’aime bien la performance, faire de bons matches, mettre des trucs en place et que ça bouge derrière.
Dans la foulée, il explique quelle image renvoie Toulouse en Angleterre. Extrait:
C’est une équipe qui marque. Quand j’étais aux Wasps, ça parlait souvent de Toulouse. Je me souviens d’un entraînement où on jouait un peu des ballons de partout et Joe Launchbury, notre capitaine, avait dit : “Stop les gars ! On n’est pas à Toulouse ici ! On joue propre, carré, sécurisé. On ne prend pas de risques.” Cela témoigne de l’image que le club véhicule, je crois.
Je me souviens d’une passe entre les jambes que j’avais faite, toujours avec les Wasps, contre Northampton. Elle était arrivée dans les mains de notre ouvreur mais le lundi, le coach m’avait dit : “Ça, tu ne fais plus jamais.” A Toulouse, pour mon premier match en Top 14, j’avais aussi fait une passe entre les jambes mais personne ne m’en a parlé. Ici, on ne te reproche pas de tenter des trucs, on t’encourage plutôt.
Il évoque ensuite sa forte progression au cours des quatre dernières années. Extrait:
Déjà, le travail dans les rucks défensifs quand il faut bloquer l’adversaire qui a le ballon. Pas quelque chose que j’ai vraiment appris ou intégré. À mes débuts, j’étais ouvreur et je n’allais jamais dans les rucks. Même quand on m’a placé en deuxième-ligne, je n’y allais pas vraiment, je jouais tout le temps le ballon. En arrivant en France, c’est le premier truc dont on m’a parlé, à Toulouse et avec les Bleus.
Ensuite, j’ai un cap à franchir dans la lecture tactique du jeu, l’adaptation à avoir en fonction des scénarios. Je comprends pourquoi on fait certains lancements plutôt que d’autres mais je voudrais être dans la création plus que dans la restitution, apporter des idées, être dans l’échange, le débat. Je comprends, j’exécute mais je ne suis pas assez leader. C’est de ma faute, je ne prends pas assez de temps pour regarder des matches, analyser avant nos réunions. Jeudi dernier, on a discuté pendant plus d’une heure et demie lors de notre première réunion pour préparer la finale contre le Leinster, c’est passionnant mais cela se prépare en amont. Antoine (Dupont), Thomas (Ramos) et Romain (Ntamack), ils sont très forts là-dessus ! Dernière chose, j’aimerais gagner en rudesse au plaquage, marquer l’adversaire, m’illustrer en défense et pas seulement en attaque.
Aussi, il affirme ne pas avoir de crainte par rapport aux commotions dont il a été victime. Extrait:
Non car j’ai travaillé par rapport à ça. Déjà, aussi improbable que ça puisse paraître, je me suis décidé à porter un protège-dents. Je n’en avais jamais mis jusqu’à l’an dernier, je n’aimais pas avoir ce truc dans la bouche. Mais les statistiques sont parlantes : cela réduit le risque de 30 %. J’ai aussi fait un gros renforcement cervical et puis, j’ai bossé avec une psychologue. On a regardé les images de mes trois commotions et, sur deux d’entre elles, je ne me protège pas du tout sur le plaquage. Par exemple, en demi-finales contre le Leinster l’an dernier (défaite 41-22), je me lance avec toute ma force, tout droit, sans adapter ma vitesse ni mon geste. Dans ma tête, j’étais en mode vengeance à deux balles : “Quitte à perdre, je vais faire mal.” La psy dit que je mettais mon corps en danger. On a parlé de ça, de bénéfices-risques : quel est l’impact de ce plaquage sur le match, sur ma saison, sur ma carrière ? Il faut garder à l’esprit la protection. Il faut toujours pouvoir analyser, anticiper.
Pour conclure, il explique que même à Toulouse, certains estiment que tu triches quand tu demandes à être arrêté pour une commotion. Extrait:
Parfois, on te fait sentir que tu triches par rapport à ça. Même ici à Toulouse. Convaincre que tu as besoin d’être arrêté, ce n’est pas forcément facile. Je ne considère pas être un mec qui s’échappe et c’est dur quand tu as cette étiquette qui vient insidieusement, malgré tout. Certains sont encore de la vieille école, persistent dans le discours qui parle du vieux rugbyman qui a zéro faille, zéro faiblesse. Ça évolue, heureusement, mais il faudrait arriver à changer ça complètement.