Jalil Narjissi, père de Medhi Narjissi, disparu en mer lors d’une séance de récupération de l’équipe de France U18, pointe du doigt les responsabilités de la Fédération française de rugby (FFR) et déplore le manque d’accompagnement de son président, Florian Grill.
Jalil Narjissi est un père déchiré toujours en quête de réponses. Son fils, Medhi, a tragiquement disparu le 7 août dernier, emporté par les vagues et les puissants courants de la plage de Dias Beach en Afrique du Sud, lors d’une séance de récupération organisée par le staff de l’équipe de France U18 de rugby.
Dans un entretien accordé à L’Équipe, l’ancien talonneur d’Agen s’en prend vertement aux membres du staff mais aussi à la Fédération pour son manque d’accompagnement dans les jours ayant suivi la disparition.
“Un enfant de 17 ans a failli lui-même partir pour essayer de sauver Medhi”
“Je veux que la vérité soit faite, que la justice fasse son travail, que les responsables soient jugés et punis“, lance-t-il. “Ils ne peuvent plus encadrer. Certains doivent aller derrière les barreaux. On n’a reçu aucun message de leur part. Rien”.
Il fulmine contre le choix de programmer cette séance à un endroit réputé pour sa dangerosité, comme l’indiquaient d’imposants panneaux, et déplore l’inaction des membres du staff pour porter secours à son fils. Son partenaire Oscar Boutez s’est jeté à l’eau pour le secourir mais Medhi Narjissi qui était parvenu à s’accrocher a finalement lâché prise, selon le rapport provisoire de l’enquête interne menée par la FFR.
“C’est un enfant de 17 ans qui a mis sa vie en péril et qui a failli lui-même partir pour essayer de sauver Medhi. Il a mis plus de vingt minutes à sortir de l’eau et personne ne lui est venu en aide. Comment cela a-t-il pu se passer? Pourquoi le staff avait-il mis nos enfants là s’il avait peur d’aller secourir Medhi? Ils n’ont pas eu la moindre réaction, aucune chaîne humaine ni aucune action du préparateur physique (Robin Ladauge), qui était pourtant équipé d’une tenue néoprène et d’une bouée.”
“La Fédération n’a rien fait du tout”
Jalil Narjissi s’est lui-même rendu sur cette plage pour tenter de comprendre les circonstances de cet accident en y constatant des conditions “catastrophiques” avec un puissant courant rendant très compliquée sa sortie de l’eau où il s’était immergé jusqu’à la taille. Il s’en prend enfin à Florian Grill, président de la FFR, qui ne l’a pas accompagné lors de ce voyage.
“Je le redis, c’était à lui d’être présent avec nous, d’arrêter ses vacances pour nous accompagner. C’était un manque de respect vis-à-vis de mon fils et de ma famille. (…) J’aurais eu un discours différent envers les dirigeants de la Fédération s’ils avaient mis tout en place pour l’accompagnement, conclut-il. À part les billets d’avion, ils n’ont rien fait du tout. Ils ne peuvent pas se cacher. Florian Grill, comme les autres, va devoir assumer”.
Voici les propos du papa de Medhi Narjissi accordés à L’équipe.
Il explique ne pas vouloir prendre la parole pour faire du buzz mais pour que chacun se rende compte de la catastrophe. Extrait:
J’aurais préféré vous parler de mon fils dans d’autres circonstances. Mais je veux que les personnes aient conscience de la catastrophe qui s’est passée, et non pas parler pour faire du buzz. Je veux que la vérité soit faite, que la justice fasse son travail, que les responsables soient jugés et punis. Ils ne peuvent plus encadrer. Certains doivent aller derrière les barreaux. On n’a reçu aucun message de leur part. Rien. On avait confié notre fils à la Fédération pour une sélection avec l’équipe de France des moins de 18 ans. C’était son rêve. Il avait travaillé dur pour ça. Il est passionné. Nous, la famille, on avait confiance. Et on ne récupère que ses bagages, son passeport, son portable… On ne vit plus. (Très ému.) Ce n’est pas humain.
Il exprime sa détresse. Extrait:
Nous ne sommes pas une famille comme les autres. On sait d’où on vient et comment on s’est construit avec deux enfants. Chacun était sur sa lancée. Ma fille, Inès, termine un Master (en ressources humaines). Elle a récemment fêté ses 23 ans. Medhi devait rentrer le 21 août, trois jours avant l’anniversaire de sa soeur, et il n’est pas rentré. Elle avait des projets. Medhi pareil, tout était mis en place pour le bac et son avenir au Stade Toulousain. C’est pour lui que l’on tient, mais c’est l’horreur. Même si on a conscience qu’elle a beaucoup de travail, j’espère que la justice sera rapide. On en a besoin. À défaut de nous ramener Medhi, ça nous fera survivre. Je veux comprendre pourquoi cette catastrophe est arrivée. Ce n’est pas un accident.
Il se demande comment des adultes ont pu autoriser les enfants à se baigner sur cette plage si dangereuse. Extrait:
Je suis très en colère par rapport au lieu où cette catastrophe est arrivée et tout ce qui rendait impossible une séance de récupération là-bas. Les personnes responsables de cette catastrophe ne prennent pas leurs responsabilités et se renvoient la balle. C’est de la lâcheté. C’est un enfant de 17 ans (son partenaire Oscar Boutez) qui a mis sa vie en péril et qui a failli lui-même partir pour essayer de sauver Medhi. Il a mis plus de vingt minutes à sortir de l’eau et personne ne lui est venu en aide. Comment cela a-t-il pu se passer ? Pourquoi le staff avait-il mis nos enfants là s’il avait peur d’aller secourir Medhi ? Ils n’ont pas eu la moindre réaction, aucune chaîne humaine ni aucune action du préparateur physique (Robin Ladauge), qui était pourtant équipé d’une tenue néoprène et d’une bouée. Ce n’est pas possible non plus de ne pas avoir vu les panneaux (qui signalent clairement la dangerosité du site) comme l’a dit le staff. Ils font la taille d’une télé. Aucune norme n’a été respectée. Si ç’avait été leur enfant, comment auraient réagi les membres du staff ? Eux continuent leur vie, peut-être en se posant des questions et en ayant des problèmes devant la justice. Nous, notre vie s’est arrêtée le 7 août.
Il s’est rendu en Afrique du Sud pour constater que la plage était hautement dangereuse. Extrait:
C’était l’hiver, avec des conditions catastrophiques, des vagues de trois mètres, voire plus. Je me suis mis à l’eau jusqu’à la taille. Au bord, c’était très, très compliqué pour en ressortir. On s’est transformés en enquêteurs. On a fait des choses au-delà de notre rôle de parents dévastés. On a fouillé partout. Ils auraient pu faire cette séance de récupération ailleurs. Je ne comprends pas pourquoi il ou ils ont choisi cet endroit. Même si l’initiative vient d’une seule personne, des adultes autour auraient pu s’y opposer. Des touristes français ont par ailleurs été témoins de la baignade et ils ont dit à un membre du staff que c’était dangereux.
Pour l’heure, il indique n’avoir trouvé aucune réponse à ses questions. Extrait:
Non, pour moi, ce rapport n’a aucune valeur. Il y a beaucoup d’incohérences. Je leur ai apporté de nombreux éléments, dont des photos ou encore le rapport officiel de météo. Seul Jean-Marc Béderède (DTN adjoint) s’est rendu sur place pour réaliser son enquête. Moi, ce qui m’importe, c’est l’enquête judiciaire. Pas celle de Jean-Marc Béderède. Il a fait une enquête notamment sur un ami à lui de plus de vingt ans, le manager Stéphane Cambos, même si je pense que monsieur Béderède a été honnête. Ç’a été dur aussi pour lui émotionnellement.
Il peste contre l’attitude de la FFR dans la gestion de la disparition de son fils. Extrait:
Ils ont géré une tournée politique en Argentine. Ils se sont déplacés là-bas, mais pas pour la disparition de notre enfant. On s’est expliqués avec monsieur Grill, il m’a dit que son déplacement en Argentine était prévu avant les affaires (ce que nous pouvons confirmer, Florian Grill et Jean-Marc Lhermet avaient effectivement pris connaissance des arrestations de Hugo Auradou et Oscar Jegou en sortant de l’avion le 8 juillet à Buenos Aires). Il m’a appelé pour m’annoncer la catastrophe, puis on n’a fonctionné que par messages WhatsApp. Nous n’étions vraiment pas contents de l’accompagnement. Je le redis, c’était à lui d’être présent avec nous, d’arrêter ses vacances pour nous accompagner. C’était un manque de respect vis-à-vis de mon fils et de ma famille. Il m’a donné ses raisons.
Il pensait que je ne voulais pas le voir, alors que je n’ai jamais été vindicatif par messages. Mais on va où ? Ça n’aurait pas ramené notre fils, mais, par respect, il aurait dû aller avec nous en Afrique du Sud, ou alors un de ses adjoints, comme Jean-Marc Lhermet ou Sylvain Deroeux (secrétaire général de la FFR). Avec Florian Grill, on s’est vus deux heures à Paris (le mardi 10 septembre) avant la publication du rapport lorsque je suis monté voir la famille. J’avais demandé à le voir et je lui ai apporté des éléments précis pour ne pas que l’on ne juge la catastrophe uniquement sur le témoignage d’enfants sous le choc. Quand on était ensemble, j’ai appelé le prestataire (accompagnant les équipes sur place) et je l’ai passé à monsieur Grill. Il lui a redit qu’il avait déconseillé au même préparateur physique cette baignade l’an dernier, et que cette fois il n’avait pas été consulté.
Il l’annonce : Florian Grill va devoir assumer. Extrait:
Ce ne sont pas eux qui ont mis mon fils dans l’eau, mais ils sont responsables de ces personnes-là. Bien sûr que je leur en veux. J’entends leurs excuses, mais rien n’a été fait correctement, et ce, contrairement à ce que disent certains dirigeants. Il faut la disparition de mon fils pour remettre de l’ordre et des règles, mais aussi des gens compétents. C’est nous qui sommes déchirés et dévastés et qui ne dormons plus. J’aurais eu un discours différent envers les dirigeants de la Fédération s’ils avaient mis tout en place pour l’accompagnement. À part les billets d’avion (pour le déplacement de la famille Narjissi), ils n’ont rien fait du tout. Ils ne peuvent pas se cacher. Florian Grill, comme les autres, va devoir assumer.
Via RMC Sport