L’arbitre international Anglais Wayne Barnes s’est longuement confié dans les colonnes du Midi Olympique pour évoquer sa carrière d’arbitre.
Il affirme qu’avant de devenir arbitre professionnel, il était joueur de rugby.
Mais il a été contraint d’arrêter. Extrait:
À 21 ans, on m’a placé parmi les cinquante meilleurs arbitres d’Angleterre. La RFU m’a alors demandé d’arrêter de jouer au rugby, histoire de ne pas trop m’exposer aux blessures. Mes coéquipiers de la fac, eux, m’ont dit : “Vas y, Wayne ! Ce n’est pas grave ! Tente ta chance !” Je n’ai jamais su comment je devais le prendre ! (rires) On ne choisit pas d’être arbitre, en fait : les autres te font comprendre quelle est l’activité où tu es le meilleur à leurs yeux…
J’étais un troisième-ligne qui ne savait pas plaquer… Toujours est-il que tout a été très vite, après ça. J’ai arbitré mon premier match international en 2006. J’avais à peine 25 ans et je trouvais ça extraordinaire : être au cœur du stade pour les hymnes, entendre la puissance des chocs… Arbitrer, en fait, c’est le deuxième meilleur job, sur un terrain de rugby.
Il indique être avocat dans la vraie vie. Extrait:
Dans la vraie vie, je suis avocat et donc habitué à être impopulaire. Mais sur un terrain, je ne pense pas être démesurément autoritaire. Je suis plutôt quelqu’un qui est là pour éviter les conflits. Je suis un facilitateur, quoi.
Ce sont deux jobs à grosses responsabilités. En tant qu’avocat, il m’arrive d’annoncer à mes clients qu’ils iront en prison et au rugby, mes décisions ont des répercussions importantes sur des milliers de gens… Mais j’essaie toujours d’être le plus diplomate et le plus poli possible, lorsque j’annonce de mauvaises nouvelles.
Il indique être très ami avec Romain Poite, l’ancien arbitre qui est actuellement dans le staff Toulonnais. Extrait:
Je suis très proche de Romain Poite (ancien arbitre, aujourd’hui membre du staff du RCT, N.D.L.R.), par exemple. […] Il y a quelques années, mon épouse (Polly) s’est également battue contre un cancer du sein et lorsque la bataille s’est enfin terminée, on a décidé de soutenir la recherche. Un jour, j’ai donc organisé un match de rugby entre le club de mon village et mes copains de Londres, l’équipe avec laquelle j’étais supposé jouer cette rencontre.
Vu que nous étions quelque peu vieillissants et que je craignais la rouste, j’ai demandé de l’aide à quelques amis du rugby : ce jour-là, nos coachs s’appelaient donc Eddie Jones et Warren Gatland, on avait Phil Vickery (ancien pilier du XV de la Rose, N.D.L.R.) et Ken Owens (capitaine du pays de Galles, N.D.L.R.) en première ligne et Ugo Monye (ancien ailier international, N.D.L.R.) au fond du terrain. On a gagné, je crois ! (rires)
Il indique avoir souvent eu peur pour les joueurs sur le terrain. Extrait:
J’ai parfois eu peur pour les joueurs, après certains plaquages… La semaine dernière, j’étais par exemple à Bayonne pour Irlande-Samoa et c’était parfois sauvage, au niveau de l’engagement. Je me suis dit : “Merde, ces gars-là sont de sacrés athlètes…” Mais je n’ai jamais eu peur pour moi, non.
Il avoue avoir intimidé lors du match des Bleus contre l’Afrique du Sud au Stade de France. Extrait:
J’ai déjà été maintes fois soumis à beaucoup de pression. Lors du dernier France – Afrique du Sud, à Marseille, le bruit du Vélodrome était tellement assourdissant que j’étais parfois intimidé. Les psychologues le disent souvent : personne ne vit bien le fait d’être en désaccord avec un groupe, qui plus est un groupe de plusieurs dizaines de milliers de personnes. Il faut donc avoir une forte personnalité pour prendre une décision quand tout un stade hurle et t’assure que tu te trompes. On m’a intimidé, c’est le jeu ; mais physiquement, on ne m’a jamais manqué de respect.
J’ai cru que les supporters de chez vous me traitaient en tribunes de “canard”. Je me suis beaucoup demandé pourquoi, au départ. Puis un jour, un joueur français m’a pris par le bras et m’a dit : “Ils ne t’appellent pas “canard”, Wayne… Ils te traitent juste de “connard” !” J’ai beaucoup ri, ce jour-là. […] En fait, le Français m’a parfois joué quelques mauvais tours.
Il explique ensuite pourquoi il n’a pas demandé la vidéo sur l’essai inscrit en fin de match par Falatea, contre les Springboks. Extrait:
L’arbitre vidéo, il n’est pas assis sur un canapé à fumer des clopes et boire du whisky : il bosse en permanence, nous parle continuellement durant le match. Cet essai, je l’ai d’abord accordé parce qu’il ne me semblait pas que le joueur (Falatea, N.D.L.R.) avait rampé. J’ai néanmoins demandé au TMO de vérifier. Mais sur le coup, il ne m’a pas répondu. Je lui ai répété : “Peux-tu m’entendre, Brian ?” On m’a alors dit que quelqu’un avait débranché une prise et que la liaison entre le TMO et moi étaient coupée : il pouvait m’entendre, moi pas.
Ça a duré, duré… Mais on ne pouvait attendre plus longtemps. On ne peut arrêter un match pendant cinq minutes. C’est improductif. Les gens s’agacent. On veut tous qu’il y ait du rythme, du spectacle. Après un certain temps, on est donc resté sur la décision terrain : essai français.
Pour conclure, il évoque les échanges délicats avec certains supporters, notamment sur les réseaux sociaux. Extrait:
Cet hiver, je buvais un café à Londres. J’étais tranquille à ma table et là, un homme s’est approché de moi et m’a dit : “Wayne, c’est toi qui arbitrais les Harlequins hier ?” J’ai acquiescé. “T’as été merdique, sache le”, m’a-t-il lancé. (il éclate de rire) Merci beaucoup, monsieur ! Belle journée à vous aussi ! […] Franchement, je ne connais aucun autre job au monde où les gens viennent te dire que tu es nul dans ton boulot alors que tu es juste en train de prendre un café.
Cette situation fut surtout difficile pour ma famille. Car je peux accepter que les gens me disent à longueur de journée quel affreux personnage je suis ; je suis grand et je sais me défendre. Mais je ne supporte pas, en revanche, que l’on envoie des messages odieux à mon épouse, Polly, sur les réseaux sociaux : il y a eu des insultes, des menaces envers mes enfants, des agressions sexuelles sur le plan verbal… C’est inacceptable et j’ai aussitôt envoyé tous ces messages à la police britannique. Personne n’a le droit de menacer ma famille. Et je n’ai jamais eu besoin que l’on m’insulte pour savoir si je m’étais trompé ou pas.
Vous savez, je me mets beaucoup de pression avant un match. Pendant les hymnes, je regarde les tribunes et je ressens bien ce que tout ça signifie pour les gens, les joueurs, les coachs… Alors, je veux faire les choses du mieux possible. Je veux que les joueurs me fassent confiance. Je veux qu’il y ait du spectacle, que les gens prennent du plaisir, soient heureux. Surtout, je veux que personne ne parle de moi après le match. Ça voudra dire que j’ai fait du bon boulot.