Alors qu’il publie son livre “L’Art de vaincre: la culture de l’excellence en 10 leçons” (Marabout), Dan Carter, l’ex-ouvreur néo-zélandais (41 ans), est revenu pour RMC Sport sur le match d’ouverture de la Coupe du monde entre la France et la Nouvelle-Zélande. Le double champion du monde (2011, 2015), qui a joué trois saisons au Racing 92, nous parle de Matthieu Jalibert, du très gros niveau des Bleus, ou encore de leur force mentale.
Dan Carter, qu’avez-vous pensé de ce France-Nouvelle Zélande, en ouverture de la Coupe du monde 2023 (victoire des Bleus 27-13)?
Le match d’ouverture de la Coupe du monde était un match fantastique. Il y avait un tel engouement et une telle excitation autour de cette rencontre. C’était deux grandes maisons du rugby mondial qui s’affrontaient. Quelle atmosphère incroyable au Stade de France mais aussi dans tout le pays! Le XV de France a montré qu’il allait être dur à battre avec tout le soutien du public. Et puis les Français étaient juste trop bons pour les All Black. C’est une équipe de classe mondiale. Les Blacks vont être déçus de na pas avoir gagné leur premier match. C’est la première défaite de notre histoire en phase de poule d’une Coupe du monde. C’est un coup dur, mais on apprend tellement de ses défaites. Et ce qui est beau, c’est qu’il n’y aura pas un écart énorme si l’on finit premier ou deuxième de notre poule, puisqu’en quarts de finale on tombera soit sur l’Afrique du Sud, soit sur l’Irlande, soit sur l’Ecosse, parmi les équipes favorites pour remporter ce Mondial. Je pense vraiment que les All Black vont tirer une leçon de cette défaite et qu’ils seront meilleurs en vue des quarts de finale. Et une fois que tu es en quarts, tout peut arriver.
Vous, l’ex-ouvreur international, que dites-vous de la prestation de Matthieu Jalibert? Après le forfait de Romain Ntamack mi-août, Matthieu a-t-il la capacité d’aider le XV de France à gagner la Coupe du monde?
Quand j’ai appris pour la blessure de Romain, j’ai d’abord pensé à lui. Comme il a dû être déçu et triste. C’est l’un des meilleurs joueurs du monde depuis quelques saisons. Quand on s’apprête à disputer une Coupe du monde à la maison, c’est dur de passer à côté. Mais je savais que la force du XV de France était justement leur équipe, je savais qu’ils avaient développé une vraie profondeur de banc à chaque poste. Matthieu est un super joueur aussi, je me souviens de lui quand je jouais en France. J’étais intrigué de voir comment il allait jouer vendredi et je pense qu’il a fait un super match. Il a très bien contrôlé la rencontre, toujours très précis. Sa prise de décision était toujours calme et claire. C’est ce que j’aime dans cette équipe, la profondeur de banc. En Coupe du monde, tu as des blessés, tu connais des revers, des joueurs en manque de forme. Toute l’équipe sera testée.
Le quatrième chapitre de votre livre “L’Art de vaincre: la culture de l’excellence en 10 leçons” (Marabout) est entièrement dédié au mental. Vous y racontez votre rencontre avec le psychologue des Blacks Gilbert Enoka et comme ça a été déterminant dans votre carrière. Aujourd’hui, les Bleus sont suivis par une cellule psychologique et ils travaillent énormément sur la gestion du mental. D’ailleurs on l’a vu vendredi soir… Qu’en pensez-vous?
Oui, c’est clairement quelque chose qu’ils ont travaillé. Même quand ils sont sous une énorme pression, ils croient toujours qu’ils vont gagner. Ils se sont construits un mental de gagnants et ils jouent pour quelque chose de plus grand qu’eux-mêmes. Ils sont capables d’être menés et de l’emporter à la fin. Plus tard dans la compétition, ils seront encore plus sous pression que pendant le match d’ouverture. Dans ces moments-là, quand tu es derrière au tableau d’affichage ou que ça ne fonctionne pas comme tu le voudrais, la question est: comment tu mets ton jeu en place? Et comment tu gères tes temps faibles? Les Français ont montré qu’ils pouvaient tenir bon dans ces moments-là. C’est une vraie force de l’équipe.
Après le premier week-end de matchs, quel sont les grands favoris de la Coupe du monde?
Les trois qui sortent du lot après ce week-end sont l’Irlande, l’Afrique du Sud et la France. La France, avec la foule, l’énergie et tous les gens derrière eux, sera difficile à battre. L’Afrique du Sud a l’air tellement dominante. L’Irlande est un peu passée sous les radars. Ils sont tellement cliniques depuis une longue période, et pourtant personne ne parle d’eux.
Comment expliquez-vous la saison compliquée des All Black et leur deux dernières défaites (contre les Bleus vendredi et contre l’Afrique du Sud 35-7 en test-match le 25 août)? Le rugby néo-zélandais est-il en crise?
C’est dur de savoir pourquoi ils ne sont pas aussi constants que les All Black des générations précédentes quand tu n’es pas au sein du groupe au quotidien. Ce qui est sûr c’est qu’ils ont de super joueurs et de supers coachs. Il y a quelque chose qui ne fonctionne pas. Ou plutôt pas encore! Parce que je sais qu’ils travaillent extrêmement dur. Les revers qu’ils ont essuyés face à l’Afrique du Sud et face à la France, ils doivent en tirer des leçons. Quelles sont les deux ou trois choses qu’il faut urgemment améliorer pour nous permettre de performer lors des phases finales? C’est ce sur quoi ils vont travailler et c’est pour ça que je crois encore qu’ils peuvent être une bien meilleure équipe que ce qu’ils ont montré ces deux derniers matchs. Ils ont fait d’énormes progrès cette année par rapport à l’année dernière. C’est excitant, mais ils doivent encore trouver ce qui va faire la différence dans leur jeu.
Lors de la finale de la Coupe du monde 2015 face à l’Australie (victoire des Blacks 39-17), il y avait à vos côtés Brodie Retallick, Sam Whitelock, Jerome Kaino, Richie McCaw, Aaron Smith, Ma’a Nonu, Julian Savea… Comparés à votre génération, est-ce que vous comprenez que l’on dise des All Black actuels qu’ils sont la pire équipe que la Nouvelle-Zélande a connu?
Non. L’équipe de 2015 était vraiment spéciale. On avait travaillé très dur sur notre force mentale. On voulait être l’équipe dominante de la décennie. Et on avait construit notre équipe longtemps avant cette Coupe du monde. On voulait entrer dans l’histoire, devenir la première équipe à gagner le titre mondial deux fois d’affilée, ce qui n’avait jamais été fait jusque-là. Mais aussi devenir la première équipe des All Black à remporter la compétition à l’étranger. On avait de super joueurs, et on cultivait la confiance en nous. Ça nous poussait. On était tellement confiants dans ce que nous pouvions faire que les équipes arrivaient face à nous avec beaucoup de pression. C’est grâce à ça qu’on l’a emporté. Et finir ma carrière internationale à de tels sommets était un moment spécial pour moi. Les All Black d’aujourd’hui ont de très grands joueurs qui ont déjà accompli de grandes choses et qui sont de grands leaders. Comme Sam Whitelock, Brodie Retallick, Aaron Smith, Beauden Barrett et la liste est longue! Il y a juste quelque chose qui leur manque. Je ne suis pas sûr de ce que c’est exactement. Mais la beauté de la Coupe du monde c’est que quand tu accèdes aux phases finales, tout peut arriver. Regarde l’Afrique du Sud à la dernière Coupe du monde (Japon 2019). Ils jouent très mal pendant leur préparation, ils perdent leur premier match contre les Blacks, et pourtant ils remportent la compétition. Ou les Français en 2011. Ils s’effondrent en phase de poule et puis se rassemblent, vont en finale et sont tout près de gagner la Coupe du monde. Chaque édition est différente.