Matthieu Jalibert a accordé un entretien exceptionnel à RMC ce mercredi dans l’émission le Super Moscato Show. Trois jours après la cruelle élimination du XV de France contre l’Afrique du Sud (28-29) dès les quarts de finale de la Coupe du monde, l’ouvreur des Bleus a reconnu qu’il accusait encore le coup. Assez lucide sur les manques tricolores, le demi d’ouverture n’a pas voulu charger l’arbitrage du match
Matthieu, comment allez-vous après ce quart de finale perdu?
“Oui c’est très compliqué après autant de travail et de sacrifices, s’arrêter comme ça cela fait un gros vide. Beaucoup de tristesse et de frustration. C’est vrai que depuis la fin du match c’est assez compliqué. On vit des moments pas faciles. Après il faut essayer de relativiser, la vie continue.”
On imagine que vous avez refait le match plein de fois dans la tête…
Bien sûr, le problème c’est que dès que je me retrouve seul, j’ai des flashs du match. Je me dis que l’on aurait pu faire différemment. Forcément quand on perd on essaye de trouver des fautifs et de savoir ce que l’on n’a pas bien fait. On essaye de trouver des solutions mais malheureusement on ne pourra pas revenir en arrière. C’est ça aussi qui est difficile car on gamberge beaucoup. Le premier sentiment c’est la tristesse. Depuis la fin du match on a vraiment un gros vide et l’impression que tout s’est arrêté devant nous.
Quel est votre plus gros regret sur ce match?
Mon plus gros regret c’est de ne pas avoir réussi à tuer le match plus tôt. Sur la première mi-temps, on était vraiment bien et on dominait. On prend trois essais à zéro passe. Ils ont été opportunistes. C’est sur des rebonds et un peu de chance, un peu de réussite. Franchement, s’il y a 21-0 à la 30e, il n’y a rien à redire non plus.
En deuxième mi-temps, à quatorze contre quinze on domine mais on n’arrive pas à prendre le score. Et au final on s’est mis dans une situation où cela pouvait basculer d’un côté comme de l’autre sur un coup du sort. Malheureusement, on peut chercher tout ce que l’on veut, mais nous nous sommes mis nous-mêmes dans une situation délicate car sur nos temps de domination on n’a pas été capables de prendre le score et de les enfoncer quand ils étaient en difficulté.
Comment expliquer ce manque de maîtrise, était-ce dû à une nervosité ou fébrilité?
Honnêtement je n’ai pas regardé le match et je vais mettre du temps avant de le voir parce que c’est encore trop frais. De ce dont je me rappelle, je n’ai pas l’impression que l’on n’était pas bien tactiquement ou que l’on a raté quelque chose. J’ai vraiment l’impression que sur chaque ballon de turn-over que l’on a perdu, on a pris un essai. Au niveau de la stratégie, je pense que c’était plutôt clair et respecté pendant 35-40 minutes durant la première mi-temps. C’est difficile de repenser au match et à ce que l’on a bien ou mal fait. J’ai vraiment l’impression que l’on a manqué de réussite même si on a été pris sur des duels aériens et qu’on était en difficulté sur la couverture après la perte d’un ballon. Il faut souligner leur efficacité, leur pression et leur opportunisme.
On a l’impression que cette équipe de France a alterné entre plusieurs fonds de jeu. Quel est votre avis là-dessus Matthieu?
Je pense honnêtement que l’on a été surpris par la défense des Sud-Africains. Parce que par rapport à ce que l’on avait analysé, c’était beaucoup de rush defense, une équipe qui montait vachement vite et mettait beaucoup d’intensité pour essayer de contrer les offensives. On a été surpris parce que très rapidement on a été capables de mettre notre jeu en place.
Et je pense qu’à certains moments, on en a trop fait et on a surjoué. Au final on s’est un peu fait prendre à notre propre jeu c’est-à-dire que dès qu’on perdait un ballon ils jouaient au pied, créaient du déséquilibre et on a pris des essais bêtement. Encore une fois, c’est compliqué de se refaire le match et il faudrait que je regarde exactement ce qu’il s’est passé pendant le match.
Matthieu, maintenant voulez-vous vite reprendre ou préférez-vous couper avec le rugby?
Honnêtement c’est très très dur. C’est vraiment un moment très compliqué pour moi et pour toute l’équipe. On était vraiment abattus à la fin du match. Il y avait beaucoup de tristesse et c’est vrai que dans ces moments-là j’aime bien être seul pour couper un peu. En ce moment je n’ai pas forcément envie de retrouver les terrains, j’ai envie de m’isoler et de rester avec mes proches. Que cela soit physiquement et mentalement. Après il y a d’autres objectifs qui vont arriver. Après un échec, il y a une dynamique avec de la colère, du déni et le fait de remonter la pente petit à petit. Trois jours après le match, c’est compliqué. On a qu’une chose en tête, c’est partir loin.
Qu’avez-vous pensé de l’arbitrage? Avez-vous ressenti un problème avec les décisions de en O’Keeffe?
C’est compliqué parce que dès que tu perds, il y a cette frustration et tu cherches un coupable. Mais le problème, je pense que sur la première heure c’est nous. On a eu des périodes de domination où on était vraiment en place, que l’on a eu des occasions mais où on n’a pas été capables de marquer. On s’est mis dans une position où on a laissé les Sud-Africains revenir et y croire. Forcément, l’arbitre est humain. Je ne vais pas revenir sur toutes les décisions, peut-être qu’il s’est trompé mais il est humain et tout le monde fait des erreurs. Que cela soit moi, les Boks, tout le monde. Après, moi je l’ai trouvé dur avec nous dans les zones de ruck.
Plusieurs fois ils sont venus et ont attrapé Antoine (Dupont) et lui ont tapé sur le bras. C’était délibéré, c’était pour casser le jeu. C’est surtout là que parfois on a percé et eux ont vraiment essayé de nous ralentir et de casser le jeu. Pour moi c’étaient des fautes évidentes à siffler. Encore une fois, c’est facile de reprocher à l’arbitre des erreurs mais il est humain et cela arrive de faire des erreurs. Peut-être qu’il a été pris par le contexte et l’environnement. C’est compliqué mais la première des choses, ce sont les erreurs que l’on a faites qui nous ont malheureusement mis dans cette position et fait basculer du mauvais côté.
Vous avez indiqué vouloir couper avec le rugby, la Coupe du monde est-elle finie même comme téléspectateur ou allez-vous regarder la suite de la compétition?
Très honnêtement je pense que je ne vais pas regarder les matchs. Pour moi cela va être trop dur de voir les équipes qui sont en demi-finale.
Notamment l’Angleterre et l’Argentine, non?
Ouais… Après les pauvres, ils n’y peuvent rien. S’ils sont là c’est qu’ils se sont pelés. Mais ce sont des équipes que l’on a réussi à battre sur les dernières années et je pense que l’on méritait tout autant d’y être. Malheureusement on n’a pas réussi à le faire. C’est un mini-traumatisme et il y a beaucoup de tristesse. C’est difficile à accepter et on va mettre du temps à l’accepter. Il va falloir être costaud mentalement par rapport à cela. Là je vais couper avec le rugby pendant dix ou quinze jours. Je vais essayer de prendre l’air et de me vider la tête. Je ne pense pas regarder les matchs.
Avez-vous échangé avec Fabien Galthié après le quart de finale sur la suite? Quel a été son discours pour le futur?
Ce sont des choses qui doivent rester dans le vestiaire mais tous les membres du staff et tous les joueurs étaient vraiment déçus et abattus à la fin du match. Son discours a été positif dans le sens où il était fier de nous et que ce n’était pas un match que l’on avait raté. Il nous a dit de ne pas avoir de regrets, qu’il fallait continuer d’avancer et que nous étions une belle génération. Il nous a aussi dit que nous avions quinze belles semaines, sans compter les trois années avant, où on a vécu de grands moments et des choses immenses ensemble. Forcément, sur ce genre de compétition, il y a des hauts et des bas et donc on peut avoir des déceptions comme ce week-end. Mais voilà, il a dit qu’il nous aimait et qu’il fallait continuer à travailler car un jour cela finira par payer.
Sur la dernière possession où vous pouviez encore tout changer malgré une avancée un peu difficile et bloquée des Bleus. Comment l’avez-vous vécue de l’intérieur? Avez-vous senti le match vous échapper ou y avez-vous cru jusqu’à la dernière seconde?
C’est compliqué. Pour moi il reste une minute et c’est difficile de croire que tu vas les renverser quand tu relances de tes 22m face à l’une des meilleures équipes du monde. Malgré ça, je pense que l’équipe a continué de pousser jusqu’au bout. On a tout donné dans la bataille avec le soutien de notre public. En plus on a été capables d’aller dans leur camp, on a réussi à les breaker (casser la ligne défensive, ndlr) deux ou trois fois je crois. Mais voilà… Malheureusement cela n’a pas basculé de notre côté. C’est dommage mais cela résume un peu l’entièreté du match.
Parmi les supporters, dans les tribunes, c’était irrespirable durant les cinq dernières minutes. Vous, Matthieu, vous étiez sorti. Était-ce parce que vous étiez cuit physiquement ou est-ce que vous auriez pu aller au bout du match?
En fait, depuis le moment où je me suis fait renverser par Eben Etzebeth, j’avais un mal de dos. J’ai dû me bloquer un truc dans le dos avec une grosse contracture. J’ai continué à jouer. Je ne sais pas si vous vous souvenez de l’action. On tape par-dessus, je récupère le ballon et je me fais plaquer par-derrière. En fait, à ce moment-là j’ai une douleur vraiment vive et on a préféré ne pas prendre de risque et me faire sortir. Après, on n’est peut-être pas champions du monde mais on a laissé une bonne image et on a gagné le cœur des Français. À Bordeaux je vois aussi le regard et le discours des gens depuis mon retour, cela nous réchauffe aussi le cœur. Depuis le début de la compétition on a eu beaucoup d’amour. On sent que, dans la défaite comme dans la victoire, les gens sont toujours avec nous. Et ça c’est le plus important.
Source : RMC Sport
Ces grands sportif, sont psychologiquement faible;