Jean-Baptiste Elissalde a été écarté de ses fonctions d’entraîneur de Montpellier le 18 novembre dernier en raison de résultats catastrophiques de la part du MHR.
Pour la première fois depuis son éviction, Jean-Baptiste Elissalde a pris la parole via Midi Libre.
Dans un premier temps, il donne de ses nouvelles et avoue trouver le temps long. Extrait:
Ça va, c’est un peu long. Quand t’es dans la machine à laver en étant entraîneur, tu ne t’aperçois pas de tout ce qu’il y a autour. Quand tu n’y es plus, d’autres choses plus importent davantage. Tu prends le temps de t’occuper de ta famille, de tes proches, ceux qui te supportent d’habitude. C’est à ton tour de les supporter. Il y a des temps longs mais ça fait du bien de souffler. Je reste un peu dans le rugby en regardant quelques vidéos, des matches et en travaillant pour vos confrères de L’Equipe. Ça me laisse en éveil.
Il affirme ne pas réussir à couper totalement. Extrait:
Il ne faut pas. Puis je n’y arriverai pas, c’est ma passion. Il faut que je bosse, que je me mette à la place des coaches et je prends des notes. Comment j’aurai joué, quelle stratégie j’aurai adoptée… J’écris aussi des nouvelles choses pour un nouveau projet. Je m’occupe quoi.
Il revient sur son licenciement et explique comment les choses se sont déroulées. Extrait:
Forcément, quand tu perds, t’es en danger. D’autant plus ici, de par le passé du club. C’est un peu moins vrai dans certains clubs qui ont plus de stabilité. Mais tu t’aperçois que sur quatorze staffs de Top 14, douze ont changé ces derniers mois.
Maintenant, comment j’ai senti le truc arriver ? C’était bizarre. Dans la semaine précédant le match, j’étais en relation avec Mohed Altrad. Il cherchait des solutions. Au fur et à mesure, je sentais que quelque chose se tramait. Sur le terrain, à l’entraînement, on avait changé la méthodologie. Richard Cockerill avait pris du recul, sentant qu’il était condamné. On n’est pas loin de faire quelque chose à Perpignan (23-16), on a l’occasion de mener 17-0 si on ne lâche pas le ballon dans l’en-but. Le lendemain, je reçois un coup de téléphone me disant que je suis en vacances, comme ça se fait dans ces moments-là. Ça n’était pas une surprise, vu ce qu’il se disait autour du club les derniers jours.
Il s’est ensuite fait une raison en apprenant que Patrice Collazo allait débarquer. Extrait:
Je l’ai senti un peu avant. Quand j’ai commencé à entendre parler de Patrice Collazo, de Bernard Laporte en milieu de semaine… Je me suis fait une raison. Et je me souviens être passé dans les vestiaires contre Perpignan et dire aux mecs : “Restez soudés”. Ça allait arriver.
Il explique que Mohed Altrad lui a reproché de ne pas avoir dénoncé les mauvaises méthodes employées par Richard Cockerill. Extrait:
La seule chose que me reproche le président sur les trois dernières années, c’est de ne pas avoir fait le délateur ou d’avoir dénoncé les méthodes de Richard. Ce n’est pas dans mon éducation. Je suis fils d’entraîneur, l’entraîneur a toujours raison, même quand il a tort. J’ai toujours cru pouvoir changer les choses en discutant avec lui, en essayant de reprendre la main sur la méthodologie d’entraînement. Mais il avait son caractère aussi. Devant vous, il disait toujours : “Je suis le chef”. C’était un peu le même discours avec nous. Il avait peut-être oublié ce qu’était le Top 14. Il avait un management très dur avec certains joueurs.
Il avoue avoir de nombreux regrets. Il s’explique. Extrait:
Oui, plusieurs. Dans mon domaine d’action, j’aurai dû imposer le changement des méthodes d’entraînement. Ce qu’on faisait était trop long et diesel, bien différent des deux saisons précédentes. Ça a brûlé les mecs. Physiquement et mentalement.
L’erreur de Richard, je pense, est de ne pas s’être adapté à son environnement. Les joueurs français ne sont pas les joueurs anglais. Le Top 14 n’est pas celui de l’Angleterre ou l’Ecosse. On n’avait plus de ressort. On était amorphe sur le terrain, pas bon en conquête. C’était compliqué d’exister. Quand les défaites s’enchaînent et que le vers est dans la pomme, c’est difficile de faire marche arrière.
Sur la dernière semaine avant Perpignan, j’ai réussi à reprendre la main mais les dés étaient déjà jetés. Paradoxalement, ça avait été une belle semaine. Les joueurs avaient encore de la ressource. Je suis persuadé qu’on aurait pu refaire surface, comme ils le font aujourd’hui. Il y a des ressources dans cette équipe, qui a déjà connu ça, il y a trois ans. Je voulais juste reprendre la main sans tuer Richard, parce que je ne suis pas comme ça.
Mon autre regret est de ne pas pouvoir accompagner mes “coéquipiers” de la formation. Les Joan Caudullo, Benoît Paillaugue, Anthony Floch, Damien Florio, Jesse Mogg ou encore un “Fufu” (Ouedraogo), qu’on a mis dans les bureaux pour travailler sur l’identité de ce club jeune.
L’année du titre, Philippe (Saint-André, alors directeur sportif) me demande de travailler sur un projet sur la formation. Comment avoir un centre de formation performant, peu coûteux, pour sortir des jeunes et dégager du salary cap pour des stars. Avant qu’on soulève le Bouclier, j’annonce aux bureaux que je veux remplir cette mission au moins jusqu’à la fin de mon contrat (2025). Et ce, même si je suis viré du groupe professionnel. Qu’importe mon sort, je voulais poursuivre cette mission.
Il enchaîne. Extrait:
Il y a trois ans, je suis arrivé pour aider mon ami Xavier (Garbajosa, manager de septembre 2019 à janvier 2021) en tant qu’entraîneur de la défense. Le mariage entre l’identité toulousaine de Xavier et l’effectif qu’on avait à disposition n’a pas fonctionné.
Philippe Saint-André devient alors manager/directeur sportif. Olivier Azam et moi passons entraîneur principal. J’étais un peu dans l’ombre de Philippe mais ça m’allait bien. Il m’a beaucoup protégé, donné du confort. C’est lui qui gérait la partie management, contrat, administration, recrutement… Et moi je n’avais qu’à m’occuper du terrain. C’était chouette. On a réussi à se maintenir et gagner le Challenge en changeant totalement la méthodologie d’entraînement et le projet de jeu. On s’est adapté aux joueurs qu’on avait. Pareil la saison suivante, bouclée par un Brennus. Donc en fait, je n’ai jamais pensé être numéro un, numéro deux, numéro un bis.
Mon erreur a été, peut-être, de ne pas avoir communiqué davantage avec vous (les journalistes) pour m’envoyer des fleurs parce que je sais comment ça fonctionne. Je ne suis pas un très bon communicant et ça ne m’intéresse pas.
Dans la foulée, il rappelle que malgré le Bouclier de Brennus remporté, le MHR a toujours été dans l’instabilité. Extrait:
Le Brennus est le plus prestigieux pour un club. Il arrive très vite dans le projet. C’est une fierté pour moi parce que gagner avec Toulouse, c’est “normal” et un peu plus facile qu’ailleurs. Donc gagner à Montpellier au bout d’un an et demi de travail, c’est une grande satisfaction. Mais le club souffre toujours d’instabilité. Quelques semaines après le Bouclier et avoir été nommé meilleur staff de l’année, Olivier Azam se fait sortir pour des raisons que j’ignore encore. Et Philippe me dit : il faut qu’on trouve quelqu’un qui s’occupe des avants. Joan Caudullo assure l’intérim. Ça devait durer 2-3 semaines, ça a duré six mois.
L’année a été alors très délicate pour diverses raisons. Extrait:
Elle a été difficile parce qu’on avait perdu Guilhem Guirado, Benoît Paillaugue et Fulgence Ouedraogo. Ont suivi les grosses blessures d’Arthur Vincent, Yacouba Camara et Geoffrey Doumayrou, censés reprendre la main dans le vestiaire. Sans oublier le relâchement post-titre, à tous les niveaux du club. On n’était pas les mêmes.
Dans le même temps, j’essaie de changer un peu le profilage de l’équipe. On est un peu moins bon en conquête donc on doit créer un peu plus dans le rugby. Puis je suis toujours dans ma mission d’avoir une équipe caméléon à la fin de mon contrat en 2025.
Il affirme également que Philippe Saint-André et Mohed Altrad se sont brouillés à plusieurs reprises. Extrait:
À l’intersaison, Philippe et le président se brouillent un petit peu suite à des histoires dans le vestiaire qu’il y a eues en fin de saison. Donc Philippe prend beaucoup de recul mais je ne perçois pas le fait qu’il ne sera plus là. Richard (Cockerill) arrive. Étant donné son passé, son expérience et son tempérament, il propose ses services au président pour devenir chef. Dans un sens, ça ne me gêne pas, tant que je garde la main sur l’entraînement. Sauf que ça, je le perds aussi. En sept matches, une victoire. On n’est pas bon. Nulle part. Et on a beaucoup de blessés.
Depuis, plusieurs clubs ont tenté de le recruter, mais il n’a pas accepté. Extrait:
Oui, 2-3 petites pistes. Mais ça n’est pas le moment. J’ai une vie familiale un peu particulière, liée à un de mes enfants. Pendant 25 ans, ma femme a beaucoup assumé le boulot. C’est un peu à moi de prendre le relais. Si j’ai quelques mois devant moi, je ne veux pas me disperser et l’aider. Et je prends un moment pour faire une introspection, écrire un projet, apprendre à communiquer, étudier l’arrivée d’un entraîneur dans un staff etc. C’est un moment de recul. Je reste près des terrains, je vais voir les jeunes, je regarde tous les matches, j’écris beaucoup. Et je vais attendre la bonne opportunité. Mais ça n’est pas demain la veille.
Jean-Baptiste Elissalde est ensuite revenu sur la prise de recul de Philippe Saint-André. Extrait:
Le fonctionnement était bien. Mais il aurait pu être mieux. On a commencé à en parler avec Philippe, qui souhaitait prendre plus de recul en arrêtant d’être en tribunes avec le staff. On voulait structurer le club. Ce club est jeune. Toulouse et La Rochelle ont 100 ans. Ce club a 38 ans, dont douze passés avec le président actuel. Des dizaines d’entraîneurs sont passées. Il n’y avait pas de fil conducteur entre les fondations, les jeunes et l’équipe première. Avec Philippe, on voulait donner des certitudes à ce club, construire. Du back-office au terrain. D’où la présence de “Fufu” dans les bureaux. J’étais persuadé que Benoît Paillaugue devait rester au club (actuel entraîneur des espoirs), pareil pour Geoffrey Doumayrou. Il pue le rugby, c’est un mec d’ici. Tout ça, c’est le plus important.
Et le reste aurait suivi, en étant adroit sur le recrutement, continuer d’assainir l’effectif, contraint par le Salary Cap. On a dû rattraper des erreurs passées. Mais tout ça ne se fait pas du jour au lendemain. Maintenant, ça ne me regarde plus. Même si j’y ai mis tout mon cœur pendant trois ans.
Je ne suis pas d’ici mais je me suis investi, et je rêvais que Benoît (Paillaugue) me remplace un jour. J’avais aussi pour idée d’asseoir le staff des jeunes à notre table. C’est-à-dire faire un open space où tout le monde par le même langage. On avait réussi à remettre du lien entre l’Association et le professionnel. C’était fait pour retrouver une génération à la Ouedraogo-Picamoles-Trinh-Duc.
Il ne souhaite pas analyser l’évolution au sein du club. Extrait:
Je n’ai pas forcément envie d’en parler. C’est leur histoire. On sera à jamais les premiers. Faire ce qu’on a fait avec cette équipe-là, sans centre d’entraînement, sans tout ce qu’ont les autres, c’est une grande réussite. Deux titres en trois ans, ça n’est pas anodin. Ça, c’est une victoire personnelle par contre. J’ai eu des moments difficiles comme tout entraîneur. Que ça soit à Toulouse ou en équipe de France.
Et gagner ici, après tout ce qu’il s’était passé, c’était fou. Ça récompense tout le travail qu’on avait mis en place, surtout que le terrain dépendait beaucoup de moi. Ça fait bizarre de tout le temps parler de soi (sourire).
Il règle ses comptes à sa manière. Extrait:
Ils ont décidé de tout changer. En ce qui me concerne, je pense que c’est un mal pour un bien.
C’est bien que je ne sois plus là, par rapport à certaines personnes. Maintenant, ce que je souhaite dire, c’est que j’ai reçu énormément de messages de la part des joueurs et du staff. Ça fait chaud au cœur, même si ça ne change rien. Jessica Casanova (directrice générale) a été admirable au moment de la rupture. Et le président Mohed Altrad, alors qu’il est souvent mal perçu, a été très humain avec moi et je l’en remercie.