Le visage de Bryan Habana est généralement barré d’un énorme sourire qui l’illumine. Mais pendant un instant, il grimace. Il se souvient la souffrance endurée en pratiquant le Sevens, tout en faisant de petits calculs rapides.
« J’étais un sprinteur de 100 et 200 m, mais le Sevens, c’est plutôt l’équivalent de courir sept 400 m à pleine vitesse en sept minutes », a-t-il confié depuis une loge confortable du Hong Kong Stadium. Michael Hooper, qui vient de faire ses débuts dans la discipline, s’agite non loin de lui et s’apprête à découvrir par lui-même ce dont parler Habana. « C’est carrément brutal. Et il ne s’agit pas seulement d’aller à la vitesse de la lumière. Les contests au sol sont… J’ai envie de dire ‘atroces’. Il faut se mettre en permanence dans le rouge, c’est aussi éprouvant que cela parait. »
Rien qu’en parler suffit est épuisant, mais Habana n’en a pas fini pour autant. « Ensuite, il y a l’intensité de l’échauffement, où tu essaies de monter ton rythme cardiaque 190-200 trois fois par jour, avant d’attaquer un tournoi qui s’étale sur trois jours… »
Habana, le finisseur le plus létal de sa génération à XV, avait tenté une reconversion au Sevens en vue des JO 2016. Sans parvenir à se faire une place dans l’équipe sud-africaine.
« Mais dans quel pétrin tu t’es fourré à 32 ans ? »
« Je me souviendrai toujours de 2016. J’avais joué un match contre Brive avec Toulon, puis j’avais pris un avion pour rejoindre la Stellenbosch Academy of Sport », se remémore Habana, petit sourire amer aux lèvres. « Après la première séance d’entraînement, j’étais à bout de souffle. J’ai regardé vers le ciel en me disant ‘Mais dans quel pétrin tu t’es fourré à 32 ans ? »
Au lendemain de ses débuts dans les SVNS Series à Hong Kong, Michael Hooper – âgé de 32 ans, au cas où vous vous poseriez la question – se pose des questions similaires. Il tente lui aussi de faire la transition vers le rugby à VII après une carrière brillante à XV, et vise les Jeux olympiques.
De son propre aveu, cette première incursion chez les septistes n’a pas été convaincante. Les spécialistes de la discipline s’accordent pour dire qu’il reste à Hooper un travail considérable notamment sur son positionnement, mais que son abattage défensif a été largement au niveau.
Mais au milieu de ces changements de codes, une chose est restée inchangée : l’Australie perd face à la Nouvelle-Zélande. Après avoir passé des années à XV ans en saint patron des causes perdues contre les All Blacks, Hooper a découvert que ses rivaux d’outre Tasmanie pouvaient aussi le mettre en échec à VII : l’Australie s’est inclinée 26-7 en demi-finale face à leurs voisins. Plus les choses changent, plus elles restent les mêmes.
Outre Habana, un autre quinziste de légende garde un œil sur les progrès de Hooper à VII. Brian O’Driscoll voit en Hooper un potentiel énorme, tout en précisant qu’il n’y a pas de garanties dans le monde du Sevens.
« Rien n’est gagné d’avance, et Michael serait probablement le premier à dire qu’il faut mériter sa place », avance O’Driscoll, qui, comme Habana, est ambassadeur de la banque HSBC. « Il ne fait aucun doute qu’il possède toutes les caractéristiques pour transférer les compétences du XV vers le VII : un moteur énorme, une bonne condition physique, de très bonnes mains, de l’accélération, une excellente technique de plaquage aux jambes, une très bonne posture dans les rucks… Tous ces éléments sont vraiment importants pour un septiste. On pense tous qu’il a les capacités naturelles d’un joueur de Sevens. Mais il doit le prouver. »
Un qui a déjà montré que passer de XV à VII pouvait se faire sans encombre, c’est Antoine Dupont, toutefois absent à Hong Kong. Pendant que Hooper faisait ses premiers pas sur le circuit de SVNS, le capitaine des Bleus menait Toulouse vers un large succès en Champions Cup face au Racing 92.
Le demi de mêlée a zappé le Tournoi des Six Nations pour apprivoiser le Sevens, fait désormais des allers-retours entre son club, à XV, et sa sélection, à VII. On se dit que peu de joueurs sont capables de franchir les frontières des variantes du rugby avec tant d’aisance. Mais après tout, c’est désormais connu de tous, Antoine Dupont n’est pas fait du même métal que les autres.
O’Driscoll sur Dupont : « Il a montré sur ses premières sorties qu’il était un rugbyman de talent, quelle que soit la variante. »
Avec ‘Toto’ sur la feuille de match, les Bleus ont gagné leur premier Tournoi de Sevens depuis plus de vingt ans, à Los Angeles en mars, et il a marqué les esprits lors de ses débuts à Vancouver, une semaine plus tôt. Et même sans son maestro, l’équipe de France a atteint la finale à Hong Kong. C’est indéniable, elle fait partie des équipes en forme. Ajoutez à cela le soutien inconditionnel du public parisien et vous obtiendrez une équipe que personne ne voudra affronter aux JO.
En dépit des qualités exceptionnelles de Dupont et de son apparente rapidité d’adaptation au rugby à VII, O’Driscoll met en garde contre le fait de lui accorder trop de temps dans son club.
« C’était un peu surprenant qu’il ne soit pas du voyage à Hong Kong et qu’il retourne jouer à XV. Il reste humain, et a encore besoin de temps de jeu pour saisir toutes les subtilités du Sevens. C’est compliqué, parce que ses patrons à Toulouse doivent lui dire que là-bas aussi ils ont besoin de lui. Mais il a montré sur ses premières sorties qu’il était un rugbyman de talent, quelle que soit la variante. »
Avec des stars du rugby de la stature de Dupont et Hooper susceptibles de participer aux Jeux olympiques, le rugby à VII s’apprête-t-il prêt à connaître un tournant dans son histoire ? Habana n’est pas de cet avis, pour la simple raison qu’un tel moment s’est déjà produit.
« Des quinzistes qui passent à VII, c’est déjà arrivé », avance l’ancien ailier des Springboks. « Je pense que le Sevens a déjà connu un tournant lorsqu’il est devenu un sport olympique [à Rio en 2016]. Mais même en 2016, des joueurs comme Sonny Bill Williams, moi-même, Quade Cooper et Liam Messam ont relevé le défi .
Il s’agit ensuite de trouver le dosage délicat entre des joueurs qui écument le circuit de Sevens depuis quatre ans, et le parachutage de quinzistes comme Dupont ou Hooper, de booster l’équipe en lui amenant un joueur reconnu ailleurs sans qu’il ne prenne trop de place. Mais la simple présence de joueurs de leur trempe renforce l’image du Sevens. S’ils parviennent à se faire une place aux JO, chapeau à eux. »
Il reste deux étapes pour le flanker des Wallabies sur le circuit des SVNS Series pour affiner ses skills et présenter ses arguments en vue de sa candidature olympique : Singapour dans les jours qui viennent, puis la Grande Finale de Madrid, du 31 mai au 2 juin.
Si la première apparition de Hooper à VII a fait de lui un sujet de conversation dans les bars de Hong Kong, elle a également ouvert la voie à une ‘fantasy league’ du rugby à VII.
On s’est amusé à demander à Habana et O’Driscoll quels quinzistes actuels ils souhaiteraient voir au Sevens des JO de Paris.
La réponse d’O’Driscoll a fusé. « Ben Earl serait bon, vous ne pensez pas ? D’après moi, il a été le meilleur joueur du dernier Tournoi des Six Nations. Il possède toutes les qualités : une bonne accélération, de bons appuis, costaud, solide, utile en mêlée et en touche, et une capacité de fournir beaucoup d’efforts. Un gros moteur, c’est la condition de base, doublé d’un mental solide pour être capable d’y retourner quand les autres ont envie de laisser tomber. »
En bon Sud-Africain, Habana a une vision plus patriotique et pragmatique, en choisissant un compatriote qui a déjà fait ses preuves sur le circuit de SVNS.
« Je vais manquer d’impartialité, car les Blitzboks ne vont pas aussi bien qu’on le voudrait. J’aimerais beaucoup que des joueurs comme Cheslin Kolbe reviennent à VII. Il est gavé d’expérience avec notamment ses deux titres mondiaux. Il joue en ce moment au Japon, ce qui veut dire qu’il ne pousse sans doute pas son corps dans ses retranchements. De plus, il était une star absolue du Sevens, et son expérience au sein d’un groupe plutôt jeune serait très précieuse. »
Le sourire d’Habana fait son retour en même temps que ses mauvais souvenirs personnels s’effacent. Le compte à rebours vers Paris 2024 peut reprendre.
Via Rugby Pass