Valeur sûre du Stade Rochelais depuis le début de la phase retour du Top 14, Oscar Jegou ne cesse de confirmer les promesses largement entrevues lors du titre mondial des Bleuets à l’été 2023.
Pour sa première saison dans la cour des grands de son club de cœur, le troisième ligne de tout juste 21 ans épate d’autant plus qu’il a su se relever avec brio d’une forte période de turbulences à ce stade de sa jeune carrière.
Au détour d’un entretien accordé à RMC Sport, il évoque d’ailleurs pour la première fois publiquement sa suspension du début de saison consécutive à un contrôle positif à la cocaïne.
Quelle que soit la tournure du printemps du Stade Rochelais, premier Brennus ou pas, il figurera dans la colonne des satisfactions maritimes. Dans les petits papiers de Ronan O’Gara et son staff en cette deuxième partie de saison, Oscar Jegou a beau encore être sous contrat espoirs, le troisième ligne sacré champion du monde U20 (2023) enchaîne les apparitions comme les bonnes performances. Un rebond notable, quelques mois après une mésaventure qui aurait pu mettre un sacré frein à sa prometteuse carrière.
Contrôle positif à la cocaïne en début d’exercice, dans un cadre considéré comme récréatif et sans rapport avec la performance sportive, le natif de La Rochelle – dont le nom circule pour participer à la tournée estivale du XV de France en Argentine – a traversé les “trois mois les plus durs de sa vie” à l’automne dernier. Ce mercredi, sur la pelouse synthétique du centre d’entraînement rochelais, sourire accroché au visage, Oscar Jegou a accepté d’évoquer pour la première fois sa période de suspension dont il a aujourd’hui fait une force. Et de laquelle est née une réelle volonté de partager son expérience et prêter son épaule, si besoin est, notamment auprès des plus jeunes. Entretien
Oscar, trois jours après votre 21e anniversaire, vous avez enchaîné avec votre premier match de 80 minutes en pro. Au Stadium, face à Toulouse, dimanche dernier. Difficile d’espérer mieux, non?
Jouer 80 minutes pour la première fois en pro, c’est super important. Pour voir si l’on peut rivaliser physiquement pendant 80 minutes. Je vous avoue que ça a été un peu dur (sourire) mais ça s’est très bien passé. Très beau cadeau d’anniversaire.
Vous n’avez manqué qu’une journée de Top 14 depuis la mi-février. Quid de votre capital confiance, à l’approche d’une éventuelle phase finale?
On arrive dans un moment où les clubs alignent les plus grosses équipes possibles. Évidemment que je profite de quelques blessures mais le staff est plutôt content de moi, de mes performances. Ça me donne pleine confiance. J’en suis très content. Les coachs me disent que le travail demandé est fait. En défense, ils aiment beaucoup mon jeu, le fait que je plaque bas. Ils arrivent à se servir de moi en touche donc c’est très cool.
Il y a à peine plus d’un an (28 mai 2023), vous faisiez vos tous premiers pas en pro. S’en est suivi un sacre mondial avec les Bleuets. Maintenant, une place au soleil dans la rotation à un poste hyperconcurrentiel en club. Réalisez-vous le chemin parcouru sur l’année écoulée?
J’arrive à me poser après chaque match et à me rendre compte que c’était mon rêve et que je suis en plein dedans. Après, je reste lucide et mon objectif est surtout d’y rester le plus longtemps possible.
Vous êtes considéré comme un enfant du club. Comment a commencé votre histoire avec le rugby?
Je suis né à La Rochelle mais j’ai grandi sur l’Île d’Oléron jusqu’à mes six ans. J’ai commencé le rugby sur l’île grâce à l’école. Je me souviens d’un flyer pour nous demander de venir essayer le rugby. J’ai tout de suite accroché avec mes frères. J’ai deux grands frères. Ils ont commencé un peu avant moi car je n’avais pas l’âge. Mais à force de traîner au bord du terrain, les entraîneurs m’ont proposé de prendre une licence. J’ai commencé à quatre ans. J’ai fait une saison là-bas, avant de déménager.
Direction La Rochelle, ensuite, donc…
A l’époque où l’équipe première évoluait encore en Pro D2. Il y avait des sélections pour les jeunes mais il y avait trop d’enfants et le club disait à mes parents que ça allait être compliqué. Finalement ils m’ont gardé d’entrée! J’ai fait toutes mes classes ici, je suis tombé sur de supers éducateurs et un super club, surtout. C’est pour cela que je suis autant attaché à ce club.
Il y a quelques jours, l’entraîneur de la mêlée rochelaise Gurthrö Steenkamp parlait de votre amour pour le Stade Rochelais comme d’une sorte de supplément d’âme…
Je pense que ça joue sur certaines de mes performances. Je me bats à fond pour le maillot. J’ai envie que mon club soit le meilleur.
Avez-vous été biberonné au rugby pour avoir commencé si tôt, entre frères?
Pas du tout! Mon grand-père, que je n’ai jamais connu, en faisait parait-il, mais à très bas niveau. Mais ma famille, pas du tout. Mon père aurait aimé mais sa mère ne voulait pas trop rapport aux contacts (sourire), elle avait un peu peur. Mes parents ne m’ont jamais bridé. Je me suis tout de suite mis au rugby et depuis seize années, c’est le sport qui m’anime, qui me fait vibrer tous les week-ends. En catégorie U12, vers ces années-là, j’ai su que je voulais faire du rugby ma vie. A la fin de Crabos, j’ai été surclassé avec les Espoirs. J’ai compris encore plus que j’avais vraiment quelque chose à faire, surtout ici. Je faisais mes matchs.
Votre manager Ronan O’Gara a plusieurs fois – depuis le début de l’année civile, face à la presse – loué vos performances ainsi que celles de Louis Penverne, votre acolyte jusqu’alors en Espoirs. Comme pour “piquer” certains cadres. Le fait que la classe biberon ait parfois pris la barre en pleine tempête fait partie des belles histoires de la saison rochelaise…
Après les deux dernières saisons des cadres, ils avaient besoin de jeunes qui les poussent. Avec Louis, on a pris notre rôle à cœur et avec tous les autres jeunes à l’entraînement, aussi. On aime beaucoup pousser, leur mettre la pression, leur montrer qu’ils ne sont pas seuls, qu’il y a aussi des jeunes qui poussent derrière et c’est tout ce qu’ils demandent donc c’est cool.
Votre histoire personnelle est d’autant plus belle cette saison que vous avez su rebondir après une période fort délicate, celle liée à votre suspension d’un mois consécutive à un contrôle positif à la cocaïne en marge de la première journée de championnat. Une consommation d’une substance illicite que vous avez de suite établie dans un “contexte récréatif”, à l’occasion d’une pendaison de crémaillère. Quel regard portez-vous sur ces déboires, avec quelques mois de recul?
L’une des périodes les plus difficiles de ma vie… Maintenant, je pense qu’elle m’a forgé, qu’elle m’a donné une carapace. C’est une épreuve tellement dure que, aujourd’hui, j’arrive à me dire que ça m’a servi. Ça m’a fait passer un cap. J’arrive à performer en club sans penser à ça. Et à regarder droit devant.
Ce chapitre est définitivement tourné?
C’est derrière moi. C’est une erreur de jeunesse, j’ai été très déçu de moi. C’était les trois mois les plus durs de ma vie même si j’ai réussi à beaucoup travailler physiquement. Aujourd’hui, c’est derrière et je sais ce qu’il ne faut plus faire.
A l’annonce de votre contrôle positif, vous sortiez d’une période d’euphorie: le titre de champion du monde U20, les premières titularisations en pro… L’avez-vous ressenti comme un KO?
Exactement. C’est un moment où l’on commence juste à être un peu dans le mouvement, on sort d’un titre de champion du monde et tout nous tombe dessus… Je pense que c’est mieux que ça arrive à cet âge-là que quand on a trente ans et qu’on doit être exemplaire, même si à mon âge on doit l’être et que c’est une grosse erreur. C’est arrivé jeune. Maintenant, je l’ai bien compris, ça m’a servi de leçon.
Pouvez-vous nous décrire ces trois mois que vous évoquez?
A ce moment-là, je me dis que je sais que je n’ai pas triché, en soi. Je le sais au fond de moi. Ce n’était pas du dopage. Je n’avais pas cette notion-là en tête. Ça m’a aidé et j’ai réussi à basculer. Pendant ces trois mois, il y a une part de moi qui s’est dit: ‘Est-ce que je vais revenir? Est-ce qu’on va avoir le même regard sur moi?’ Même si j’ai dû passer des moments difficiles, derrière, ça s’est plutôt bien passé. Pourvu que ça dure sur le plan rugbystique. Je veux juste montrer l’image un bon joueur de rugby, c’est juste ça qui compte.
Cette suspension survenue à l’automne 2023 avait été réduite de trois mois à un mois par l’AFLD (Agence française de lutte contre le dopage) grâce aux démarches entreprises notamment en termes de traitement contre l’usage de la substance en question. Mais vous n’avez retrouvé la compétition que fin janvier avec les espoirs, puis mi-février avec l’équipe première. Soit plusieurs mois loin des terrains…
La direction du Stade Rochelais a choisi de mettre une sanction supplémentaire, que j’ai complètement acceptée. L’erreur, je l’assumais complètement. Mais, comme ma famille, au niveau du club, du staff, des joueurs, tout le monde a été incroyable avec moi. Le club m’a soutenu même si beaucoup au sein du club étaient très déçus de moi au début car ils ne comprenaient pas. J’ai dû expliquer plusieurs fois la situation. Ils m’ont beaucoup aidé. Chaque joueur a pris des nouvelles presque tous les jours. C’était vraiment hyper cool, ça m’a aussi servi pour m’en sortir.
Tout comme votre attachement à ce blason rochelais?
Complètement. J’aurais pu aussi revenir dans un autre club à plus bas niveau. Ce n’était pas du tout l’objectif. L’objectif est et a toujours été de faire une grande carrière ici. C’est pour ça que je me suis battu, que j’ai travaillé dur ces trois mois-là. Je n’avais qu’une idée en tête, revenir ici avec le groupe que j’aime. Cela s’est fait.
En quoi consistait la période d’accompagnement et de sensibilisation que vous avez suivie?
J’ai été accompagné par des psys et d’autres personnes pour me faire prendre conscience des choses, de la gravité de l’acte. Tout cela aurait pu aller plus loin. Si l’on ne prouve pas que c’est festif, que c’est hors compétition, ça peut être plusieurs années (4 ans de suspension, ndlr) donc ce n’est plus la même sanction. Heureusement, j’ai réussi à le prouver, j’avais les preuves mais il faut faire attention. Je ne dis pas que je vais passer toute ma carrière à prévenir mais je suis prêt à aider les autres.
Faire “profiter” de votre expérience?
C’est mon objectif et ce sera mon combat. Même si je ne veux plus que mon image soit associée à tout ça, au dopage, à la consommation de substances illicites. Parce que j’ai complètement tourné la page et que c’est complètement fini. Par contre, si des jeunes ou d’autres ont besoin, je les aiderai.
Quel message pouvez-vous leur apporter, le cas échéant?
Surtout leur faire prendre conscience que, s’ils ont un rêve, qu’ils s’y accrochent et qu’ils ne se dispersent pas dans d’autres choses. Leur faire prendre conscience des conséquences. Moi, ça a failli n*** toute ma vie… Il faut en prendre conscience. Quand on est jeune, on n’y réfléchit pas trop. Si on peut dire que je suis vacciné? Oui, complètement.
La médiatisation de votre contrôle positif a entraîné de nombreux commentaires, parfois nauséabonds sur les réseaux sociaux. Quid de votre soutien, à l’extérieur à La Rochelle?
Tout le staff et les joueurs de la Coupe du monde (U20) m’ont beaucoup aidé, m’ont envoyé beaucoup de messages. Sans me vanter, je pense qu’ils connaissaient la personne. Ils étaient déçus de moi mais ils savaient que c’était vraiment une erreur, ils me faisaient confiance. Tout le monde m’a dit: ‘tu as le droit à une chance. Pas deux’. C’était ça le plus important à entendre.
Vous disiez plus haut sortir “forgé” de cette épreuve…
Vous savez, c’était la première épreuve difficile de ma vie. Je n’ai perdu personne de proche. C’est la première fois où j’étais mal, où je ne savais plus où j’en étais. A 20 ans, c’est difficile, j’ai pris un gros coup par rapport à tout l’engouement autour de ça. J’ai su rester fort, faire abstraction aussi et travailler pour revenir.
Même si cet épisode ne peut être occulté car faisant partie de l’histoire de votre saison, il n’est plus question aujourd’hui que de vos performances sportives, au final…
Certains peuvent rester là-dessus. Moi, tant que je fais mon truc, que je sais ce que je fais, que je joue au rugby le mieux possible, on peut penser ce qu’on veut… Maintenant, je suis dans la rotation à mon poste à La Rochelle, j’ai réussi à faire mes preuves. Je profite de quelques blessures mais le plus important, ce n’est pas juste d’en profiter, c’est de prouver qu’on peut être au même niveau. Je n’ai jamais perdu confiance, j’ai juste voulu montrer ce que je valais. Ça me sourit grâce à certains absents mais je suis très content de mes performances.
Certains de vos coéquipiers champions du monde U20 – vous faisiez partie des cadres de l’aventure – ont déjà fait la navette vers l’étage supérieur. Le XV de France est-il dans un coin de votre tête?
J’y pense de plus en plus tout en restant lucide et en voulant faire mes performances avec La Rochelle. Mais c’est vrai que c’est un objectif en plus, l’un des derniers même si le plus gros reste de performer en équipe de France. L’atteindre serait déjà très bien. Puis de me faire une place petit à petit dans les années à suivre.
Avez-vous eu un contact direct avec le sélectionneur Fabien Galthié et le staff?
Oui (sourire). Pourquoi pas une tournée en Argentine (cet été, ndlr). Peut-être. Tout dépendra de la fin de saison avec La Rochelle. C’est un bon signal.
Via RMC Sport