Une des révélations au club cette saison, le pilier toulousain Joël Merkler, débarque quasiment de nulle part. Arrivé en provenance d’Espagne, où il ne connaissait rien du Top 14, il a dû passer par le rugby amateur avant de percer au plus haut niveau et d’être récemment sacré en Champions Cup avec le Stade Toulousain. Etudiant à Sciences Po en parallèle à sa carrière, ce profil atypique raconte son histoire pas comme les autres, des terrains de Sant Cugat près de Barcelone, aux sommets avec les “Rouge et Noir”.
Le colosse ne passe pas inaperçu. Avec son 1,94m et ses 135kg, ses faux airs de William Servat, on passe rarement à côté de Joël Merkler. Comme lui passe rarement à côté de ses matchs depuis plusieurs mois avec le Stade Toulousain. Pourtant, l’actuel pilier droit est parti de loin. Très loin. Né en Espagne, d’un père anglais et d’une mère espagnole, il a grandi sans rien connaître des arabesques ovales toulousaines. Joueur de foot jusqu’à ses douze ans, il va vivre un véritable coup de foudre pour le rugby, au moment où il cherchait un sport qui le fasse “bouger plus que gardien de but.” Après huit saisons de balle ronde, c’est de cette manière qu’il opte pour le rugby et se retrouve à Sant Cugat, à 25km de chez lui, au nord de Barcelone.
Ravis de disposer d’un gabarit comme le sien, les dirigeants ont toutefois failli ne jamais le revoir. “Le premier entraînement que j’ai fait s’est déroulé sous 40 degrés. Avec mes 100kg, j’ai pensé arrêter le premier jour“, en rigole-t-il maintenant. Mais trois mois plus tard, c’est pour lui une révélation. “Ce qui m’a beaucoup plu, c’est que par rapport au foot, mon gabarit était très valorisé. Et puis l’esprit collectif qu’il y avait aussi. En très peu de temps, je me suis fait des vrais potes, que je côtoie aujourd’hui encore. Plus que les mecs du foot par exemple. Donc l’état d’esprit m’a beaucoup plu. Et après, je pense que le côté physique, c’est quelque chose que je n’avais pas découvert avant. J’ai rapidement accroché en fait.”
De quoi se sentir utile et précieux dans un groupe. Porter le ballon, plaquer, aller au contact en somme. Sans le savoir, le petit Merkler, quoi que déjà imposant, a trouvé sa voie. A la fin de sa deuxième saison, qu’il termine invaincu, avec ses coéquipiers, ils affrontent le Stade Toulousain le temps d’un tournoi amical. S’ils s’inclinent 51-0, se rendant compte du fossé, lui a tapé dans l’œil des dirigeants toulousains.
Seulement, malgré un premier un stage avec le club rouge et noir, il n’a par la suite plus de nouvelles. Alors, il noue lui-même des contacts avec des clubs comme Agen, Narbonne ou Béziers. Et ça marche. Béziers est ainsi prêt à l’accueillir. Mais une semaine avant de s’engager dans l’Hérault, Toulouse, mis au courant, le contacte à nouveau et lui propose de le recevoir, ainsi que sa famille.
L’affaire est vite entendue: à 16 ans, il quitte l’Espagne et débarque au Stade Toulousain. En total novice, voire “pire”, comme il l’avoue: “Je ne connaissais rien du rugby français ! Je connaissais juste Toulon, parce qu’un pote à moi à Sant Cugat avait un sac de Toulon et qu’ils avaient gagné la Coupe d’Europe. Mais non, je ne connaissais pas Toulouse avant de les affronter en amical.”
Ce qui n’enlève en rien sa volonté de devenir rugbyman professionnel un jour. Il débute en catégorie juniors Crabos mais les premiers pas sont difficiles. “J’étais costaud, mais pas prêt physiquement, notamment sur les déplacements. Du coup, j’ai dû attendre le mois de novembre avant de jouer. Ça a été des semaines un peu dures où je ne faisais que m’entraîner, sans récolter les fruits. Je ne voyais pas trop le truc de quitter ma famille pour ça.”
En internat, puis en famille d’accueil, le déracinement est prégnant. “Le fait de ne pas parler la langue et de ne pas connaitre grand monde, c’est compliqué pour s’intégrer“. Joël Merkler s’accroche. Après deux saisons chez les juniors, ce 2e ligne de formation doit en plus apprendre les rudiments du poste de pilier droit. Car c’est à ce poste que le club veut l’installer. Alors, en 2019, le Stade Toulousain l’envoie au “FCTT”, autre club, amateur, de la ville. En U19 Régional d’abord, en réserve de Fédérale ensuite puis en équipe première, en Fédérale 1. Il goûtera là-bas à un rugby direct, plus viril. “Tu te frottes à tout ce qu’il n’y a pas en Espagne. Là-bas, c’est un rugby relativement technique mais il n’y a pas trop d’agressivité, pas de mauvais coups. Donc ça m’avait surpris quand même au début.”
Lors d’un de ses premiers matchs à Valence d’Agen, certainement “récompensé” par ses adversaires pour ses courses balles en main, dans un maul, il prend un coup de poing en pleine face. “J’en prends une et je… je suis surpris ! Oui, voilà, ça m’a surpris. On se dit qu’on veut la rendre, mais sur le coup je ne sais pas quoi faire. Je suis resté scotché. Et l’autre n’a même pas pris rouge, il n’a pris qu’un jaune ! C’est vrai que pour un pour un pilier de 18 ans, c’est vraiment formateur.”
De retour au Stade Toulousain, Merkler vit la période Covid en Espagne avant d’être appelé chez les Leones, l’équipe nationale ibérique. Un véritable point de bascule dans sa trajectoire enchantée. Champion de France avec les Espoirs toulousains en 2021, il intègre l’entraînement des professionnels en 2022, cinq ans seulement après son arrivée en France…
Avec des joueurs, il l’avoue, qu’il “bade” à l’époque. “Tu ne peux être qu’admiratif de cette équipe-là, qui a été championne de France en 2019 et fait le doublé en 2021. J’étais donc très impressionné de m’entraîner avec eux. Des joueurs qui sont quand même de classes mondiale. Mais bon, il faut vite switcher pour ne pas pour pas trop les regarder !” Il joue son premier match en équipe une en octobre 2022, à Bayonne, en tant que 2e ligne, et n’évoluera pilier droit que lors du match retour en février, à Toulouse. Comme souvent dans sa carrière, les premières fois sont, à l’image du poste, difficiles. “Je me mettais beaucoup de pression“, avoue-t-il.
Cette saison, la Coupe du monde, les nombreux doublons et la grave blessure de son coéquipier néo-zélandais Nepo Laulala lui ont permis “d’exploser” son temps de jeu (19 matchs de Top 14 dont 6 titularisations pour un total de 673 minutes, contre 8 matchs, 1 titularisation et 192 minutes l’an passé) et de finalement s’imposer dans le groupe si difficile d’accès des “23” Toulousains. En découvrant au passage la Champions Cup, avec le bouquet final du Tottenham Hotspurs Stadium face au Leinster (victoire 31-22 a.p.), où il remplacera Aldegheri à la 55e. “Je ne réalise pas complètement encore. C’est incroyable mais je ne sais pas à quel point c’est unique je pense. Je le verrai plus tard.” Même s’il a bien senti la confrontation avec l’Irlandais Porter. “Il a quand même joué 95 minutes ! Il m’a pris, il est vraiment bon en mêlée.”
Pour ponctuer cette saison de rêve, il lui reste l’ambition d’un doublé, avant de se frotter ce vendredi aux Rochelais. Mais aussi, comme pour compléter ce parcours pas comme les autres, des diplômes à venir. On ne vous a pas dit, Joël Merkler a intégré Sciences Po Toulouse. “C’est toujours bien d’avoir une deuxième option, donc du coup, je me suis dit ‘on va essayer d’intégrer Sciences Po’. J’ai fait une candidature par dossier, en tant que sportif de haut niveau et ils m’ont accepté, après un entretien. Là j’ai fini ma 2e année, il me reste une matière et c’est bon.” L’année prochaine, il compte bien valider trois Masters, un à Sciences Po et deux à la Toulouse Business School.
De quoi, parfois, avoir des journées bien remplies. “C’est rare, mais je peux me réveiller le matin, réviser, aller à l’entraînement, réviser encore entre midi et 15h, au centre d’entraînement et après l’entraînement quand je rentre, je peux continuer.” Certains y verraient une contrainte, lui savoure une respiration. “Ça me fait souffler un peu, changer d’air. Il y en a qui ont d’autres passe-temps, moi les d’études me font penser à autre chose. Et puis il y a des matières qui m’intéressent beaucoup. Là, par exemple, je suis sur l’histoire de l’autoritarisme dans le monde. Le 3e Reich, l’Italie de Mussolini, la Turquie de Kemal. C’était très intéressant !” Pas de quoi avoir peur du La Rochelle de Skelton…
Via RMC Sport