Le directeur du rugby de Canal +, Eric Bayle s’est longuement confié via Midi Olympique.
Ce-dernier a notamment été questionné sur la problématique de l’arbitrage vidéo.
Le journaliste a demandé à Eric Bayle si le véritable arbitre vidéo n’était finalement pas le réalisateur qui diffuse les images qu’il souhaite sur les écrans géants.
Eric Bayle réagit. Extrait:
C’est le grand débat de l’année. Certains entraîneurs nous ont en effet reproché d’influencer les décisions arbitrales par nos images, et par les ralentis qui sont diffusés en direct sur les grands écrans des stades. Il faut refaire ici l’historique : à une époque, il n’y avait pas d’écran géant. Ensuite, il y a eu des écrans géants, qui ne diffusaient pas d’images. Et aujourd’hui, ces mêmes écrans diffusent nos images en direct. Sauf que les clubs, dans leurs stades, font ce qu’ils veulent de leurs écrans géants… C’est à dire qu’ils reprennent le signal qui sort du car de Canal +, auquel ils intègrent des pubs, des logos, des jingles…
Et certains clubs ont compris l’intérêt de parfois de masquer les ralentis qui pourraient leur être défavorables… Une autre évolution est perceptible et réelle : de plus en plus souvent, l’arbitre de champ se sert en direct de l’écran géant… Vous savez, j’ai découvert le pouvoir de ces écrans en commentant les championnats du monde de cyclisme, sur un vélodrome : avant, le coureur qui menait était obligé de se retourner. Et là, il n’avait qu’à surveiller l’écran, ce n’était plus le même sport… Dans le rugby, ça a été la même chose, mais pour les arbitres.
Selon Eric Bayle, le public intervient également grandement dans les décisions des arbitres. Extrait:
Que parfois, discrètement ou pas s’ils sont interpellés, ils en viennent à jeter un œil hors protocole sur un ralenti à l’écran géant, avant de demander la vidéo. Et qui les interpelle ? Le public, évidemment, qui cherche à influencer en faveur de l’équipe qui joue à domicile.
Enfin, il m’est arrivé de constater que les commentateurs et consultants de Canal étaient plus vifs que les arbitres vidéo, voyant des choses qui avaient échappé aux officiels… Si bien que l’arbitre de champ ou l’arbitre vidéo ne s’emparent d’un fait de jeu qu’une fois que Canal a passé les ralentis venus soutenir les propos du commentateur. On est ainsi entré dans une nouvelle phase, qui fait aujourd’hui l’objet de notre réflexion.
Canal + a proposé une solution pour éviter que l’arbitre ne soit influencé. Il l’explique. Extrait:
Nous avons proposé à la LNR et à la DTNA un système de VAR, comme il est utilisé pour le foot, afin de permettre à un arbitre d’avoir à ses côtés un technicien et toutes les images à sa disposition pour venir en aide à l’arbitre vidéo. Cela a un coût, c’est actuellement à l’étude. J’ai posé directement la question à la Ligue, et je vais être clair : je pense que si ce système n’est pas mis en place, il ne faut plus qu’il y ait de ralentis dans les écrans géants de stade. Sauf pendant les arbitrages vidéo, bien sûr, puisque les arbitres de champ ont besoin de voir les images.
Selon Eric Bayle, aucune pression n’existe sur l’arbitrage vidéo lorsque les images sont diffusées sur les écrans géants. Extrait:
Pour moi, il n’y a pas de pression pendant l’arbitrage vidéo. La pression de la part du public, elle existe pour le réclamer, pas pendant. Une fois que l’arbitrage vidéo est lancé, l’arbitre s’en fout que le public hurle. Il est dans sa bulle et travaille avec ses assesseurs pour prendre efficacement une décision.
Aujourd’hui, il y a ce que les clubs appellent « l’expérience client ». Donc, enlever au spectateur la possibilité de regarder une série de pick and go sur l’écran géant parce qu’elle se joue à l’opposé du terrain, ça s’entend. Mais le ralenti pose un souci, qui met l’arbitre dans une situation inconfortable, et nos équipes techniques aussi. Parce que notre première mission, c’est d’être au service de l’abonné auquel on doit nous aussi la meilleure expérience possible.
Eric Bayle concède cependant que certaines polémiques arbitrale ont éclaté en raison des images de Canal +. Extrait:
Je vais vous donner un exemple : on a eu, sur les demi-finales, le cas d’un plaquage (sur Rory Kockott, NDLR) que l’arbitre n’a pas jugé bon de contrôler en direct, à la suite duquel l’équipe du plaqueur a marqué un essai (celui de Bochaton lors de Paris-UBB, NDLR). Nous avons montré tous les ralentis de l’essai, comme on le fait d’habitude (on aurait sans doute même montré le ralenti de l’action si l’essai n’avait pas été marqué car elle était spectaculaire).
On se doit aussi de montrer les actions où les joueurs sont blessés mais parfois, il ne nous est pas possible de revenir trop en arrière… Effectivement, si nous avions montré l’image du plaquage, l’arbitre aurait pu être influencé, alors qu’il n’a pas à être influencé puisqu’il peut demander lui-même les images !
J’ai lu récemment dans Midi Olympique l’arbitre de la rencontre qui justifiait ses décisions en expliquant qu’aucune image n’avait permis de prendre une décision. Mais c’est tout simplement parce qu’il ne les avait pas demandées ! Ce genre d’excuses, on ne peut plus les entendre.
Il demande d’ailleurs clairement aux arbitres de demander la vidéo autant de fois que nécessaire pour éviter les polémiques. Extrait:
J’aime beaucoup l’arbitrage, ça me passionne. Je parle beaucoup avec les arbitres et ces derniers mois, j’ai insisté auprès d’eux en leur disant : « Demandez la vidéo. Ne vous gênez pas, les enjeux sont trop importants, le championnat est trop serré. Nous, à l’antenne, on ne vous reprochera jamais de trop utiliser la vidéo ».
De son côté, World Rugby demande aux arbitres d’éviter de demander l’arbitrage vidéo à tout va. Eric Bayle réagit. Extrait:
World Rugby a une démarche différente, oui, en incitant les arbitres à demander de moins en moins la vidéo. Mais on parle du Top 14, là. Une compétition avec des enjeux économiques énormes, dont 10 équipes sur 14 peuvent encore espérer se qualifier à la dernière journée. On a vu un très grand nombre de matchs basculer cette saison dans les dernières minutes, parfois sur des exploits sportifs, parfois sur des décisions arbitrales pas vraiment prises.
Moi, j’estime que ça ne doit pas arriver, parce qu’on a l’outil pour que ça n’arrive pas. On ne peut pas accorder un essai litigieux à la dernière seconde sans checker la vidéo, surtout si le capitaine dit qu’il s’est passé quelque chose.
World Rugby fait ce qu’il croit bon. Mais qu’il n’y ait pas un seul arbitrage vidéo pour checker la transformation de Ramos en quart de finale de Coupe du monde, c’est juste hallucinant, parce qu’on parle de la meilleure compétition au monde ! Clairement, je n’ai pas envie que cela arrive en Top 14 sachant qu’il y a déjà, de temps en temps, des décisions litigieuses qui ne sont pas checkées.
Ce qu’il y a eu comme dérives, au début, c’est la longueur des arbitrages vidéo. Au début, même si on voyait dès le premier ralenti qu’un gars avait mis le pied en touche, on en utilisait 10 pour vérifier. Ça n’existe plus. Mais en revanche, si ont doit faire cinq appels vidéos de 30 secondes pendant un match, je ne vois pas pourquoi on s’interdirait de le faire. Ce n’est pas anti-spectaculaire, au contraire. Il ne faut pas se leurrer, l’arbitrage vidéo ajoute de la dramaturgie…
Eric Bayle évoque aussi la problématique des plaquages dangereux. Extrait:
Il est essentiel aussi pour le jeu déloyal. On se rend compte aujourd’hui qu’il y a beaucoup de sanctions pour plaquages dangereux. Mais si on écoute les coachs, il y a aussi beaucoup de plaquages dangereux qui ne sont pas sanctionnés, simplement parce que Canal ne les a pas passés en ralenti… Ce que je ne veux pas, c’est ça : que des cartons jaunes aient été distribués parce que Canal a passé les ralentis, et pas d’autres. En clair, qu’on ne pèse pas sur les débats.
Je vous rappelle qu’à une époque, la caméra inversée de Canal, qu’on appelait « l’angle opposé » a fait suspendre un certain nombre de deuxième ligne de notre championnat parce qu’ils ne pouvaient plus œuvrer en toute quiétude (sourire). Mais c’était une autre époque… Aujourd’hui les enjeux sont tels, avec des qualifications qui se jouent à un point près, qu’ils ne doivent reposer que sur les épaules des joueurs et des arbitres, surtout pas celles de la télé. En tout cas, on va travailler en ce sens.