Ce jeudi, le journal L’équipe a publié le témoignage d’une mère d’un joueur de Top 14.
Celle-ci explique se fait énormément de soucis pour les joueurs professionnels de rugby.
Bien évidemment, l’identité de cette maman n’a pas été dévoilée.
Les mots de cette maman sont très forts et laissent entendre à quel point il y a urgence dans rugby Français.
Voici le début de son témoignage :
“Heureusement qu’il y avait les gars du 7. Ils ont sauvé l’honneur du rugby. Les voir célébrer leur victoire en dansant, avec légèreté, ça faisait du bien. Parce que pour le reste, entre l’affaire Jaminet et celle de Jegou et Auradou, le rugby, c’est flippant. Ces derniers mois, il y a eu aussi des cas de violence conjugale, ne l’oublions pas.
Le point de départ, c’est quasiment toujours une forte alcoolisation. Le rugby est devenu une manufacture de violence et de frustration. J’écoute ce que me raconte mon fils. Le mal-être des joueurs est puissant. Ils ne savent pas comment évacuer la pression, pas comment se régénérer. Et on ne leur apprend pas ! Ils se jettent dans l’alcool, la drogue. La cocaïne est en passe de supplanter la bière dans les troisièmes mi-temps aujourd’hui. Elle améliore la clairvoyance. Elle est un anti douleur qui aide à repousser les limites, la fatigue. Ses traces s’effacent en quelques jours. Nos jeunes sont en danger.”
Elle évoque les moments très difficiles traversés par son fils, joueur de Top 14. Extrait:
“Mon fils a été broyé, il a vécu une dépression, comme d’autres. Beaucoup n’osent pas se l’avouer. Et, surtout, personne ne veut le voir. Ceux qui montreraient des signes alarmants ne sont pas dépistés. Nombre de coaches n’apprécient pas l’intercession d’un psy. Ce simple mot est mal vu, peu entendu, dans le rugby. Les managers n’aiment pas se sentir dépossédés, ils veulent avoir la mainmise sur le mental de “leurs” joueurs. Dans la mythologie du rugby, l’entraîneur est un chef de guerre. Un coach mental qui débarquerait dans un vestiaire pour dire à un joueur : “Tu t’en fous du résultat, prends du recul. Respire. Trouve du plaisir”, il ne ferait pas long feu.”
Elle évoque un processus émotionnel très particulier qui détruit les joueurs. Extrait:
J’ai vu mon fils et ses copains évoluer depuis l’école de rugby. Aujourd’hui, ce sport ne tire pas les joueurs vers le haut. Devoir “être un guerrier” chaque week-end, c’est compliqué. C’est un processus émotionnel particulier. Une fois dans cette zone mentale, il faut pouvoir en sortir, revenir au quotidien. Les ecchymoses voyagent du corps à l’âme. Ces hommes jeunes n’ont jamais le temps du “retour sur soi”. On leur enseigne la “rush defense”, mais aucune “self-défense” salvatrice pour l’âme. Qui les guide ? Qui est porteur d’un état d’esprit ? Ils étouffent, ne parviennent plus à s’ouvrir au reste du monde. Restent dans leur bulle, font de plus en plus rarement des études. Le rugby d’aujourd’hui, c’est deux Prime Time, chaque semaine, sur Canal+. Tout ça monte à la tête et influe sur les ego.
Elle ne manque pas de parler des réseaux sociaux et des médias. Extrait:
Et puis s’ajoute à ça le poids des réseaux sociaux. Le téléphone est une addiction qui commence au réveil et se poursuit jusqu’à l’endormissement. En existe-t-il de pire ? On exige de nos joueurs qu’ils soient costauds, résistants, qu’ils performent dur et remettent ça la semaine suivante. Il leur faut être lisses avec la presse, ne jamais faire de vagues. Et puis sympas avec les supporters qui les insultent sur les réseaux sociaux. Que font-ils de leurs 20 ans ? Mon fils s’est déclenché un zona, est tombé en dépression. Il aime ce jeu depuis qu’il est enfant mais a été à deux doigts de mettre fin à sa carrière. Certains matins, il avait mal au bide avant l’entraînement. J’entends tellement d’histoires de joueurs pleines de noirceur.
Elle pointe également du doigt les entraineurs. Extrait:
Que sont devenus les coaches ? Ils ne sont plus des papas ou des éducateurs. Beaucoup sont devenus des chefs d’atelier, attachés à fabriquer de la performance et produire des plans de jeu. Plus vraiment des figures inspirantes. La casse psychologique est énorme. Beaucoup de joueurs vivent seuls. Plus que jamais ils auraient besoin d’humanité. Ils reçoivent leurs instructions par SMS, des menus diététiques ou leur “dress-code” du jour : “Tu prends ton costume. Rdv à l’événement partenaire. Il y aura 200 personnes. Faudra être bon.”
Elle peste ensuite contre ces Tournées estivales. Extrait:
Après un Championnat sous tension, on a envoyé de jeunes hommes en tournée d’été. L’intérêt sportif était nul. Le but d’une tournée est ailleurs, développer les êtres, les relations humaines. Aider à comprendre ce que signifie “faire équipe”. Dans la nuit argentine, où étaient les hommes de quart pour guider nos matelots sur le pont ? Loin de tout, les digues ont lâché.
Pour conclure, cette maman explique qu’être mère de joueur, c’est une terrible souffrance. Extrait:
Être mère d’un joueur est devenu une souffrance, psychologique autant que physiologique. C’est notre chair qui souffre, qu’il gagne ou bien qu’il perde. Chaque week-end, on a peur de la violence des chocs. Ce qu’ils appellent un match couperet, c’est notre réalité : nous, les mères, nous sommes coupées en deux. On a peur pour leur colonne vertébrale, leurs genoux. Et surtout leur tête. Les commotions cérébrales sont devenues légion. Mon fils a eu un black-out de dix jours. Tout ce qu’on vit est un déchirement. Et pourtant il y avait pire. Je suis sans mots, j’aimerais témoigner mon amour à la maman de Medhi Narjissi (2). Mais je ne sais que lui dire. Le rugby lui a pris son fils.