Le deuxième ligne international Français Paul Willemse s’est longuement confié via L’équipe.
Ce-dernier a expliqué à quel point la santé mentale était importante pour les rugbymen.
Il explique notamment avoir passé des moments très compliqués en Top 14, au cours de ces dix dernières années.
Il se confie. Extrait
La santé mentale, c’est une dimension hyper-importante à mes yeux. Comment être performant quand on n’est pas bien dans sa tête ? En dix ans de Top 14, avec mes blessures, mes cartons, j’ai passé de sales moments, connu des extrêmes « hauts » et d’autres « très bas ». Quand vient l’orage, on se sent seul. Aujourd’hui, rien n’est mis en place pour la santé mentale des joueurs. Les clubs qui domineront dans le futur seront ceux qui ont mis l’accent sur cette dimension. Parce que physiquement, on est tous au même niveau. Tactiquement pareil. C’est problématique de voir à quel point le bien-être mental est souvent délaissé. On n’en parle pas ou peu.
Il y a des coachs qui ignorent tout de la vie perso de leurs joueurs. En équipe de France, on a entamé ce travail mais on n’est qu’au début. Le rugby dans son ensemble n’a pas pris la mesure de l’importance de la dimension mentale. Tu peux être physiquement dans la meilleure condition physique de ta carrière et ne pas parvenir à performer sur le terrain parce que ça ne va pas dans ta tête. Je l’ai vécu. À l’inverse, tu peux être dans une condition physique pas top et réaliser de gros matches. Qu’est-ce qui fait la différence ? La tête. Et ça, ça ne se voit pas dans les data. Réparer les corps, on sait faire, la tête, c’est plus complexe. Réparer les traumas, ça prend des années.
Il explique comment il a réussi à tenir le coup. Extrait:
Ma foi protestante m’a aidé, permis de faire un pas de côté par rapport au rugby pour déconnecter, me régénérer. Dans ma petite communauté, le rugby c’est juste un truc que je fais bien, ce n’est pas toute ma vie. J’ai besoin de redevenir Paul, ne plus être Willemse le “Destroyer”. Si tu laisses le ballon envahir ta vie, si tu confonds ton identité de joueur et d’homme, quand arrivent les problèmes tu es submergé. Les jeunes joueurs font parfois cette confusion et ont du mal à trouver l’équilibre entre leur « profil » sportif et leur vie perso.
Il est conscient de certains dérapages dans le monde du rugby, lors des troisième mi-temps. Extrait:
J’ai entendu des histoires, vu des comportements. C’est triste. C’est compliqué de dire à quelqu’un qu’il fait fausse route. En parlant avec des gars, tu comprends que c’est leur manière de gérer le stress. Si j’étais manager, je recruterais absolument un coach dédié à la dimension mentale parce qu’il n’y a personne aujourd’hui pour aider les joueurs à gérer leur stress. Ne serait-ce que pour discuter. « Comment ça se passe avec ton épouse, ta famille ? Et toi comment tu vas ? J’ai vu que tu as un match compliqué, parlons-en. » Même dix minutes.
Il peste ensuite contre un certain type de joueurs. Extrait:
Un tas de joueurs sont incapables d’introspection. Ils refusent d’ouvrir leur coeur, font des vannes, parlent de bagnoles, de gonzesses… C’est ce que j’appelle de la « shadow-conversation », un échange superficiel que je déteste. Certains n’ont jamais eu d’échange humain véritable depuis longtemps. Un joueur, pour qu’il donne sa plénitude, il faut l’aider à s’ouvrir, à ne pas se recroqueviller. On a beau pratiquer un sport collectif, il y a beaucoup de solitudes. Et, en plus, une charge mentale où tout se mélange : les objectifs qu’on s’est fixés et qu’on n’a pas atteints, les blessures, la concurrence… Parfois, un coach peut aggraver la situation en dévalorisant un joueur, en exigeant une performance qui tarde à venir sans chercher à comprendre les raisons profondes d’une baisse de régime.
C’est compliqué pour un joueur d’affronter toutes ces pressions. Certains joueurs préfèrent mettre tout ça sous le tapis. Ils sombrent dans des addictions, cachent des comportements dépressifs, voire suicidaires. Un jour ou l’autre ça explose. Moi, même avec un environnement sain, j’ai dû lutter pour rester sur mes appuis. C’est effrayant et à la fois humain : dans la vie, tout seul on n’est rien. On est fait pour partager. Parce que ce n’est pas du jour au lendemain qu’un joueur sombre. C’est un processus pernicieux où chaque situation, jour après jour, vient alourdir le poids de la charge mentale. Tu te retournes six mois plus tard, et, sans t’être aperçu de rien, tu n’es plus le même mec.
Il essaye de donner une solution pour que la situation puisse évoluer favorablement. Extrait:
Il faut un environnement dédié au mental dans chaque club. Détaché du sportif, c’est important. Que les joueurs puissent s’ouvrir en confiance sans craindre d’être mis de côté ou pas sélectionnés. Un jeune qui a goûté à la cocaïne doit pouvoir être capable de parler, de dire « j’ai aimé ça » sans avoir le sentiment d’être jugé. Être écouté, entendu, aiguillé, aidé. Un ami sud-africain fait ça dans des clubs anglais. Il est « sports chaplain », aumônier du sport au sein d’une structure « Holistic Sports ». Il ne demande pas d’argent. Il vient parler aux joueurs sans être forcé d’en référer au coach. S’il décèle une situation préoccupante il peut être lanceur d’alerte.
Les joueurs ont besoin d’avoir quelqu’un à qui parler. Parce que dans le haut niveau, l’entonnoir se resserre. Et si toutes les conversations parlent de rugby, l’air se raréfie. Ça ne fait jamais de mal de s’entendre dire « et toi, ça va ? », de sentir qu’on se préoccupe de toi. De déposer un poids qu’on a sur le coeur. De confier une addiction à un médicament ou autre chose. Si personne ne te parle, comment peut-on avoir des signaux d’alerte ? Plus on détecte un mal-être tôt, plus on a de chances de le résoudre.