L’entraineur en chef du Stade-Français Paris, Laurent Labit s’est confié via L’équipe.
Ce-dernier explique qu’il n’y a pas de recette miracle pour bien figurer en Top 14. Extrait:
« Il n’y a pas de recette miracle. Le Top 14 est une compétition très longue qui se décompose en deux grandes phases : la course à la qualification puis la phase finale. Mais le monde idéal n’existe pas en Top 14, il faut ajuster en permanence. »
Il est revenu sur la saison 2023 / 2024 de son équipe et de l’élimination contre Bordeaux-Bègles en demi-finale. Extrait:
« Nous avons perdu en demi-finales sur un scénario très frustrant (22-20 face à l’UBB). Mais nous ne l’avons pas vécu comme un échec car notre saison, avec une 2e place en Top 14, était réussie. On apprend toujours d’une défaite et elle permet de mieux redémarrer la saison suivante. Tu essaies de comprendre et de trouver ce qu’il faut faire de mieux pour gagner. De toutes mes expériences, l’unique fois où j’ai mal attaqué la saison, c’est au Racing après notre titre en 2016. Quand tu gagnes, tu oublies souvent de le faire et tu galères. C’est un des pièges à éviter. Mais c’est très français. Dans la plupart des entreprises, vous faites appel à un intervenant extérieur en situation de crise. Mais jamais quand ça marche bien. C’est une erreur. Justement, il est aussi important de pointer les dangers quand ça fonctionne bien.
Ensuite, sur la présaison en elle-même, elle se découpe en plusieurs éléments. D’abord, les congés sont capitaux. Les joueurs disposent légalement de quatre semaines. Nous leur avons accordé cinq semaines cette année. Nous travaillons sur une responsabilisation des joueurs. À la suite de visites dans des clubs de foot US ou de NBA, j’ai constaté que l’intersaison était laissée à la charge des joueurs. On souhaiterait tendre vers ça afin de ne pas pénaliser les joueurs “sérieux”, qui reviennent toujours en forme, même après six semaines de congés. Car la charge physique emmagasinée durant l’intersaison reste déterminante pour le bon déroulement d’une saison. Enfin, il y a la problématique du nombre de matches amicaux. Il faut au moins une répétition. »
Il explique ensuite pourquoi les équipes attendent avec impatience, durant l’été, le calendrier des oppositions. Extrait:
« Le calendrier est très attendu. D’abord le début de saison, mais aussi les oppositions durant les fenêtres internationales (de novembre et du Tournoi des Six Nations). Plusieurs options sont possibles. Certaines équipes souhaitent attaquer fort pour emmagasiner le maximum de points. D’autres préfèrent aller les chercher en seconde partie de saison. Les équipes qui ne jouent pas la Coupe d’Europe misent forcément tout sur le Top 14 et la gestion est différente. Chacun fait ses petits calculs. Nous fonctionnons par blocs. Par exemple, la saison démarre par un bloc de neuf matches qui va nous amener jusqu’aux premières vacances de novembre. Mais on peut découper ce premier bloc en plusieurs blocs, en fixant des priorités ou un nombre de points à prendre.
Si je prends notre exemple, sur les cinq premiers matches, nous allons recevoir trois fois (Vannes, Toulon et Montpellier) pour seulement deux déplacements (Bordeaux et Pau). Ce début de saison est très important. On n’a pas le droit à l’erreur dès l’ouverture de la saison. On doit attaquer fort. Il y a aussi les périodes de doublons et de faux doublons qui sont impactantes. On espère avoir des joueurs sélectionnés, mais on ne peut jamais savoir combien seront réellement retenus. Il faut néanmoins tenter de l’anticiper. C’est capital pour être performant à ce moment de la saison. Sinon, c’est quasi impossible de planifier ou de calculer quoi que ce soit. Le Top 14 est tellement homogène que tu peux perdre contre n’importe qui ! »
Autre sujet délicat : le management des joueurs. Extrait:
« C’est presque le plus difficile dans la réussite d’une saison. Un joueur veut par principe jouer les matches ! Si je prends le cas de notre capitaine Paul Gabrillagues, il avait l’habitude de jouer quasiment tout le temps. On lui a expliqué que ce ne serait plus le cas afin qu’il soit à 100 % sur la phase finale et plus à 2500 minutes au compteur et presque cramé. À l’inverse, nous avons le même raisonnement avec des joueurs qui avaient la sensation de jouer uniquement les matches qui ne comptaient pas. Ce n’est plus possible.
Une équipe type qui joue des matches ciblés puis les autres matches qui sont “lâchés”, comme quelques saisons auparavant, c’est fini ! Tous les matches comptent. Pour exister pendant dix mois, il faut impliquer le maximum de joueurs et connaître parfaitement leur profil. Le pic de forme, il faut l’avoir pour la phase finale. Idéalement, il doit être corroboré d’une énergie mentale forte et de garanties sur ton rugby. C’est ce que tu dois construire sur les dix mois de compétition. Ça passe par la gestion de ton effectif. Elle doit être transparente pour éviter les tensions. Le staff doit être le plus juste possible. Mais le joueur aussi vis à vis de ses performances. Après, les choix doivent être compris et respectés, c’est essentiel à la réussite d’un groupe. »
Autre aspect à tenir en compte en Top 14 : les imprévus. Extrait:
« C’est le lot de toutes les saisons. Quand tu joues les deux compétitions, tu n’as aucune fenêtre de tir pour ajuster ton groupe physiquement. C’est en fonction du déroulement de ta saison que tu peux ou non ajuster ta planification. Si tu es mal embarqué, qu’il te manque des points au classement, la priorité devient de gagner les matches, plutôt que de chercher à être à ton pic de forme dans deux ou trois mois.
L’autre facteur qu’on ne maîtrise pas, ce sont les blessures. Elles peuvent être très préjudiciables, voire gâcher une saison. Comme une absence non planifiée. Si un joueur majeur est absent presque la moitié de la saison pour cause de sélection en équipe nationale, ça peut coûter très cher à une équipe. Il faut donc ajuster régulièrement, que ce soit physiquement, rugbystiquement, mentalement… »
Pour conclure, Laurent Labit évoque l’aspect du jeu à mettre en place pour être performant en Top 14. Extrait:
« J’imagine qu’avec la mise en place des nouvelles règles sur les échanges de coups de pied, l’obligation de remise en jeu ou celle de reculer, le Top 14 sera plus porté vers un jeu offensif et notamment un jeu de contre-attaque. Il devient de plus en plus risqué de faire du jeu au pied avec des joueurs placés devant le botteur.
Nous devrions voir plus de relances pour remonter le ballon, quitte à refaire un ruck avant de taper au pied, plutôt que personne ne remette en jeu ou que tes joueurs devant soient fatigués, ne reculent pas et prennent des pénalités. On le sait, à chaque nouvelle règle, le focus sera mis là-dessus. Anticiper de bonnes stratégies sera capital pour bien attaquer la saison. L’adaptation est permanente. »