A quelques jours d’affronter l’Angleterre dans son stade de Twickenham (samedi, à 17h45), rencontre avec le talonneur du quinze de France, Peato Mauvaka. Devenu titulaire à Toulouse et chez les Bleus, on comprend pourquoi le natif de Nouméa est atypique.
Il évoque sa manière d’aborder les grands matchs, en toute décontraction, sa préparation physique et comment il entrevoit sa progression, incroyable ces derniers mois.
Quelle est la différence entre le Peato Mauvaka des débuts, en 2016, et celui d’aujourd’hui?
L’expérience! Même si j’ai 28 ans, ça ne fait plus trop jeune, mais j’ai l’impression que 2016, l’année de mes débuts, était il n’y a pas si longtemps. L’expérience, c’est le fait d’avoir plusieurs matchs, plusieurs titres et quelques sélections en équipe de France. C’est l’habitude de jouer de gros matchs.
Vous évoquiez la confiance il y a peu…
Ça change beaucoup sur l’appréhension du match et ce que tu peux te permettre de faire sur le terrain. Ce n’est pas la même chose quand c’est ton premier match et quand t’as un peu plus d’expérience. Je ne sais pas si c’est un point positif ou négatif, mais je n’ai pas de pression avant un match. Le premier match que j’ai joué chez les professionnels, j’avais beaucoup de stress et d’envie de vouloir bien faire. C’est pas du tout la même chose que maintenant. Ce qui a été bien aussi à l’époque et ce qui a fait que j’ai eu moins de pression par la suite, c’est que Julien (Marchand) s’était blessé. Et Léo Ghiraldini aussi. Je savais que j’étais passé numéro un. Ce n’est pas bien, mais je savais que j’allais jouer dans tous les cas. Ça m’a aidé à ne plus trop avoir de pression avant les matchs. Après, je suis un mec plutôt cool et relax. Je n’ai pas la même préparation de match que les autres joueurs.
Plus de pression? Est-ce à dire zéro pression? Que vous sortiez de chez vous ou que vous entriez sur la pelouse du Stade de France, c’est la même chose?
Oui, à peu près. Pour moi, c’est un point positif comme négatif.
Vous comprenez que l’on trouve ça surprenant!
Avec l’expérience que j’ai, le staff veut que j’envoie beaucoup de confiance et de sérénité auprès des autres partenaires du vestiaire. Mais j’ai plutôt une préparation de match qui est un peu à l’opposé du mec sérieux.
Vous avez réfléchi à ça à un moment? En se disant qu’il fallait se mettre tout de même plus de pression?
Une fois, j’ai essayé d’être plus sérieux, de m’énerver un peu avant le match et j’ai complètement loupé mon match. Je me suis quand même dit que j’allais essayer d’être un peu plus sérieux, mais de toujours garder ma bonne humeur avant le match.
L’agressivité nécessaire pour un match de rugby de haut niveau vous vient naturellement? Pas besoin de “monter dans les tours”?
Non, franchement, ça me saoule plus qu’autre chose de faire ça! Ce n’est pas du tout mon style de joueur, mon style de jeu. Ça vient tout seul pendant le match, dès le coup de sifflet. Je n’ai pas besoin de monter dans les tours pour montrer aux autres que je suis énervé. Ça vient tout seul. Je préfère avoir le sourire, écouter de la musique, danser un peu avant le match. Des trucs comme ça.
Mais certains à côté de vous ont peut-être besoin de monter en régime et ça peut donner un certain contraste?
Que ce soit à Toulouse ou en équipe de France, avec certains joueurs, j’essaie de ne pas trop croiser le regard. Je peux exploser de rire à tout moment (sourire)! Dès qu’on se croise du regard, on commence à rigoler en coin.
“A la mort de mon père, en 2018, je voulais arrêter”
Mais vous reconnaissez qu’à votre niveau sur le terrain, il faut rapidement monter le curseur de l’engagement physique…
J’ai toujours la bonne humeur sur le terrain. J’essaie de faire les deux choses. D’avoir beaucoup d’agressivité, dès qu’on gagne une pénalité, une mêlée, des choses comme ça. Et de motiver l’équipe par ce qui fait ma personne: crier, rigoler, toujours avoir le sourire. Je ne veux pas trop envoyer une image du mec qui baisse la tête. J’essaie toujours d’avoir le sourire. Même quand il y a un peu de faute, même si ça m’énerve dans ma tête, j’essaie d’envoyer des bonnes ondes à mes partenaires.
Pour revenir sur votre parcours, est-ce que le “jeune ” Peato est là où il rêver d’être au départ?
Ouf! Alors là… je n’aurais jamais cru arriver à ce stade-là. Même d’être joueur professionnel. Quand j’ai commencé le rugby, je ne comprenais pas. J’ai commencé assez tard déjà. Je ne comprenais rien au rugby. Après deux ou trois ans, je commençais à performer dans les jeunes catégories. Mais dès que j’ai atteint les équipes de France jeunes, c’était déjà une porte ouverte pour pouvoir jouer en pro. J’ai tout donné dans le rugby. J’ai arrêté l’école. Je savais que je voulais être joueur professionnel. Quand je me suis blessé en 2017, j’avais pris beaucoup de poids. Ça a été dur de revenir. J’étais gros, gros. J’étais revenu de presque deux ans de blessures. J’ai rejoué un match avec les pros. Je m’en rappellerai toujours. On gagnait de 20 points contre Lyon, je rentre un peu moins de vingt minutes. Et on perd! Les essais qui ont fait basculer le match, c’était de ma faute. Je m’en rappellerai toujours. Après ce match-là, j’ai perdu beaucoup de poids. J’ai changé un peu mon style de jeu.
Qu’est-ce qui vous guide dans votre parcours?
Ce qui me guide, c’est le fait d’avoir perdu mon père en 2018. Au départ, je voulais même arrêter. Après, je me suis dit que j’allais jouer pour lui. C’est toujours ma source de motivation.
Il y a eu un avant et un après?
Il y a plusieurs avants et après. Il y a eu ce passage-là. La Coupe du Monde 2019. Même si je n’avais pas joué, le fait d’avoir fait toute la prépa’ et d’avoir fait un match. Il y a eu un avant après le Covid aussi. Parce que, pendant le Covid, je me suis entraîné. En fait, je n’avais pas arrêté. Je me suis entraîné avec deux autres joueurs. A fond. Je suis revenu avec encore plus léger. Vu que j’avais beaucoup perdu de poids, à la reprise, je me déplaçais beaucoup. Parfois, je jouais troisième ligne. Ça m’a aidé à changer un peu mon style de jeu. Après, il y a eu la tournée de novembre 2022. C’était le plus gros avant-après. Et enfin la Coupe du monde 2023. Où là, j’ai changé un peu de statut, de dimension, de tout. Après la Coupe du monde, j’ai plus pris confiance. J’ai plus cru en moi sur le terrain.
“Lors du physique, je sais qu’à chaque fois que je souris, ça énerve les autres joueurs”
Comment travaillez-vous physiquement? Vous donnez parfois l’impression d’un telle facilité lors des exercices physiques à Marcoussis. Vous en souriez presque à certains moments…
Sur plusieurs exercices, il y a des joueurs qui ont plus de facilité que d’autres sur certains exercices. Et en équipe de France, le physique qu’on fait, c’est des navettes (des allers et retours plus ou moins long, NDLR). En navette, je me sens vraiment bien dans cet exercice-là. Et avec les autres joueurs, j’aime bien mettre des pièces. Je sais que chaque fois que je souris, ça les énerve un peu. Je force un peu le truc où je parle pendant le physique. Je crie, je rigole. Je mets des pièces ou je fais le signe de rétroviseurs quand on court. Ça fait rire tout le monde. Je sais qu’il y a quelques-uns, c’est des compétiteurs. Je sais qu’ils me sourient, mais ça les énerve un peu.
Ne faudrait-il pas que vous fassiez le physique avec les trois-quarts?
Je serai devant les trois quarts aussi, si on fait des navettes (il rigole).
Scott Hansen, l’entraîneur de le défense des All Blacks a déclaré que vous étiez l’un des meilleurs talonneurs au monde. Comment l’avez-vous reçu?
Ça m’a fait plaisir. C’est le coach des All Blacks. C’est mon frère et ma mère qui me l’avaient envoyé. De là où j’ai grandi, on est tous fans de la Nouvelle-Zélande. C’est l’une des meilleures équipes. Quand tu sais que ton nom tourne un peu dans la meilleure équipe du monde, ça te fait plaisir.
On écoute ce genre de remarque ou laisse-t-on ça de côté?
Tu les prends! C’est toujours mieux que de recevoir des critiques (il sourit). On essaie de ne pas les lire. Mais ma mère est à fond sur Facebook. Elle voit tous les trucs. Ça me fait rire parfois quand elle “screen” et qu’on a un groupe de famille. Elle remet des trucs. C’est sur ça que je vois les messages. Elle me met que les bons trucs. Je ne sais pas s’il y a des critiques, des négatives. Je n’espère pas, en tout cas.
“Antoine (Dupont), il fait le mec sérieux, mais il met des pièces aussi”
Quelle est votre place dans la vie sociale de l’équipe?
On se met tous des pièces. On est plutôt un groupe qui vit bien. Après, tu as Uini, qui est le papy du groupe et qui met des pièces à tout le monde. On est un groupe qui vit bien, je le répète.
Avec qui avez-vous le plus d’affinités?
Romain (Taofifenua) et Uini (Atonio). On est tous les trois. Après, tu as Yoram (Moefana), “JB” Gros, Reda (Wardi), Julien (Marchand). On est un peu tous ensemble. Mais avec Uini et Romain, on est tout le temps ensemble.
Comment expliquer ce lien?
On vient des îles… Après, tu as Reda, qui est souvent chez Uini à La Rochelle. Avec “JB”, on était toujours ensemble quand on a fait le Grand Chlem. On a commencé en équipe de France presque tous ensemble. Uini et Romain sont revenus sous l’ère Galthié. On a presque tous commencé ensemble. Le fait de tout le temps jouer ensemble, de venir des îles pour certains. On s’est rapprochés un peu.
Vous sentez ce Tournoi différent par rapport à l’an dernier où l’après-Coupe du monde était difficile?
Psychologiquement, un joueur en particulier ne fait pas tout dans l’équipe. Mais quand Antoine (Dupont) n’est pas là, ça change beaucoup vis-à-vis de la confiance d’équipe. Ce qu’il peut faire à l’adversaire, à la défense d’en-face. On ne peut pas dire dans un sport collectif qu’un joueur peut changer un match. Mais il faut se l’avouer, lui change un truc. On a l’habitude de jouer avec lui. On sait que c’est des joueurs un peu comme Cheslin (Kolbe) sur le terrain. Dès qu’il touche le ballon, il y a plusieurs défenseurs sur lui. Ça ouvre les portes pour les autres joueurs. C’est ce qui fait qu’il y a une différence quand il est là et quand il n’est pas là.
Lui aussi vous le chambrez. Il a un peu changé de dimension après les JO?
Mais on se met tous des pièces! Il ne faut pas croire, Antoine, il fait le mec sérieux, mais il met des pièces aussi. Il a changé de dimension? Depuis longtemps, il a changé. C’est sûr, avec les Jeux… hors rugby en plus. Mais tant mieux pour lui.
Via RMC Sport